Oz

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Passages à tabac, exécutions entre deux portes, humiliations de toutes sortes… Tel est l’ordinaire d’Oz, série télé d’une audace et d’une maîtrise inouïes, ultra-violente, à jamais traumatisante. Son créateur (en 1997) s’appelle Tom Fontana. C’est, avec Steven Bochco (New York Police Blues) et David Kelley (Ally McBeal, The Practice), l’un des scénaristes-producteurs les plus importants de la télévision américaine. Avec le cinéaste Barry Levinson, il avait déjà créé, Homicide, grande série policière, 1993-1999. Mais Oz, que le duo produit à nouveau en commun, c’est autre chose, un saut dans l’inconnu. Une série d’une crudité telle qu’aux Etats-Unis, seule la chaîne HBO pouvait la diffuser, elle qui, des Soprano à Sex in the City, produit et/ou diffuse les œuvres télé les plus atypiques du moment. Pour la relecture des genres comme pour la mise en scène de récits subtils et de personnages attachants, en termes de popularité et d’imagination, les séries se sont peu à peu hissées à la hauteur du cinéma, jusqu’à le dépasser parfois. Et Oz en constitue l’avant-garde.

Oz est une prison où sont enfermés des criminels endurcis, assassins, violeurs, trafiquants de drogues. La série n’en sort pas, et nous y enferme avec ces hommes condamnés à de lourdes peines. Au cinéma, il y eut Le Magicien d’Oz. Cette fois, on ne passe pas de l’autre côté de l’arc-en ciel mais des murs de la prison. Et l’on n’y découvre pas un monde féerique mais, en négatif, un univers cauchemardesque. Ceux qui y sont enfermés sont les rebuts du mode de vie américain, mais à l’intérieur du pénitencier se recrée une société qui est le reflet, dans un miroir déformant, de celle qui s’agite à l’extérieur. Chaque nouvel arrivant doit se trouver des protecteurs, s’intégrer dans l’une des tribus qui peuplent cet univers parallèle. Il y a les Noirs musulmans, les Latinos, les mafieux italo-américains, les nazillons, les homosexuels… Ces groupes sont en guerre permanente. Pour la maîtrise de leur territoire, pour le contrôle des trafics en tous genres. Parfois, deux d’entre eux s’allient contre un troisième. Parfois aussi, un individu se désolidarise de sa tribu et pactise avec l’ennemi – on trouve ici, entre autres choses, un bien beau personnages de traître.

A l’intérieur du pénitencier, c’est la guerre permanente. Les moments d’accalmie sont les plus inquiétants : quelque chose de terrible se prépare. Dans Oz, la première violence est celle du système : l’enfermement, les privations. C’est aussi celle de la mise en scène, directe, sans fausse pudeur, qui ne nous épargne rien des sévices régulièrement infligés à un prisonnier par un autre. Car à cette rigueur du système carcéral, les condamnés répondent au centuple. Ils élaborent des stratégies, manœuvrent pour obtenir quelque chose (un nouveau pouvoir, une vengeance, un plaisir). Mais si la série est aussi impressionnante, c’est parce qu’à ces actions calculées s’en ajoutent d’autres, guidées par les seules pulsion du moment. Ainsi renaît la sauvagerie sous le masque civilisé. Adebisi, colosse africain solitaire et volontiers muet, est le moins prévisible. Rien ne dit que là, dans une seconde, il ne va pas se jeter sur quelqu’un et lui fracasser le crâne. Jamais la télévision n’avait fait ressentir ainsi la brutalité humaine. La vision de la série est une expérience souvent éprouvante, mais celle-ci échappe sans mal aux éventuelles accusations de complaisance : ce qui s’opère ici, alors que tant de films font de la violence un spectacle confortable, c’est un retour au réel le plus cru, une mise en évidence frontale de ce qu’un corps peut faire à un autre corps. La tragédie emprunte la défroque du documentaire. Si l’homme est un loup pour l’homme, Oz est la cage où les meutes réunies ne demandent qu’à s’étriper.

Au cinéma, le film de prison a eu son heure de gloire, mais il s’agissait surtout de films d’évasion (réussie ou non, mais là était l’idée fixe des personnages). Même dans le cas du récent Animal Factory, adaptation d’un roman d’Edward Bunker par Steve Buscemi d’autant plus proche d’Oz que Buscemi, comme d’autres cinéastes (Nick Gomez, Barbara Kopple…) ou acteurs passés à la mise en scène (Matt Dillon, Kathy Bates..), en avait auparavant réalisé un épisode. Dans Oz, pas d’évasion mais un enfermement définitif. Le cinéma américain classique savait mêler le réaliste et le symbolique, le concret et le mythique. Aujourd’hui, il fait l’un ou l’autre, pas les deux à la fois. Oz si, grâce notamment à un récitant en chaise roulante dont les interventions onirico-philosophiques ponctuent chaque épisode. Du cinéma viennent aussi les personnages de gangsters, capturés et parqués à la télévision comme ils le sont dans leur prison. La série télé, c’est le règne du systématisme enivrant, de la répétition folle, des variations infimes, de l’invention sous contrainte. Aucune autre n’est allée aussi loin qu’Oz. Pour le spectateur, il est impossible de s’identifier aux monstres qui lui sont présentés. Mais, dans sa vie de tous les jours, il continuera, comme tout le monde, à ressentir parfois de la rage. S’il a vu Oz, il s’en souviendra alors en frémissant.

(Paru dans Numéro 31, mars 2002)

Oz (1997-2003), série créée par Tom Fontana

Erwan Higuinen

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