« Pourquoi ce truc est-il considéré comme un jeu vidéo ? » s’interroge un joueur sur la boutique en ligne Steam. L’objet de son courroux s’appelle Gone Home, création indé que, peu après sa sortie, le New York Times qualifiait de « plus belle histoire d’amour que le jeu vidéo ait jamais racontée ». L’œuvre du mini-studio américain The Fullbright Company divise et ce serait déjà en soi une excellente nouvelle – car le médium mériterait que les débats esthétiques prennent le pas sur les bancs d’essai techniques – si les arguments en sa défaveur (ce n’est pas un jeu d’épouvante ; il est trop court pour son prix ; il n’y a pas de vrai défi…) n’étaient pas d’un conformisme à pleurer.
Comme une poignée d’autres titres ayant subi les foudres des gardiens du temple gamer (Dear Esther, Journey, Proteus…), Gone Home s’adresse pourtant bien à nous par le langage du jeu vidéo. Il est même aisé d’établir sa généalogie. Cette maison aux pièces obscures que l’on va explorer pourrait ainsi sortir de Resident Evil – on reconnaît d’ailleurs presque son hall d’entrée avec un grand escalier face à la porte. Quant à sa narration-puzzle dont les morceaux (lettres, enregistrements audio, places de concert, facture du coiffeur…) sont disséminés de la cave au grenier, elle doit beaucoup à la série BioShock sur laquelle Steve Gaynor, l’un de ses auteurs, a justement travaillé. Mais, au cours de notre visite en vue subjective, on ne croisera pas de fantômes ni de mutants, ou alors d’un genre plus familier, plus intériorisé : la solitude, le sentiment du temps qui passe et qui use, les ambitions déçues, la crainte de se perdre ou le fol espoir d’une vie (ré)enchantée.
Il serait dommage de trop en dire car la manière à la fois sûre et délicate, riante et inquiétante dont Gone Home nous fait reconstituer son (ou plutôt ses) histoire(s) est ce qui rend l’expérience si singulière et émouvante. On peut quand même révéler que l’on incarne la jeune Kaitlin, 21 ans, de retour à Portland après une année en Europe et qui trouve la (nouvelle) maison familiale vide. Ni ses parents ni Sam, sa sœur lycéenne, ne sont là pour l’accueillir. Nous sommes en 1995, à l’époque des riot grrls, de X-Files et Beverly Hills, des VHS, de Street Fighter, de Pulp Fiction. On comprend, en accumulant les indices, que notre père a repiqué à l’écriture de thrillers SF, que notre mère a flashé sur un collègue et que notre sœur a rencontré une certaine Lonnie qui, pour elle, est beaucoup plus qu’une amie. On en a peut-être déjà trop dit sur ce chef-d’œuvre d’écriture vidéoludique.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°928, 11 septembre 2013)
Sur PC, Mac, PS4 et Xbox One (The Fullbright Company)
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