Proteus

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Quatre jours seulement après la sortie de sa création, Ed Key a ressenti le besoin de faire une mise au point. « Je ne considère pas Proteus comme un anti-jeu ou un non-jeu. Je le considère comme un jeu. (…) Si vous voulez resserrer votre définition du jeu dans un but académique ou par goût personnel, c’est très bien, mais la nature vague du mot lui-même est présente depuis aussi longtemps qu’il existe des choses que nous qualifions de jeux. » Le game designer britannique réagissait au réveil d’une polémique qui avait déjà accompagné le lancement d’autres sensations indie comme Journey ou Dear Esther. Leur crime commun : tourner le dos aux canons du jeu mainstream. Du coup, pour certains, pas de doute : ce ne sont pas des jeux. Et les messages d’alerte et demandes de remboursement d’affluer sur le service de téléchargement Steam parce qu’apparemment, ce genre d’invitation à la dérive contemplative relèverait de l’escroquerie.

Rien de plus injuste que ces anathèmes au vu de Proteus qui, non seulement s’attache effectivement à élargir le champ d’expression du médium vidéoludique, mais le fait d’une manière aussi modeste qu’accueillante, à l’image de l’île pixellisée aux couleurs pastel sur laquelle le joueur arrive (pour un séjour d’un peu moins d’une heure) au début de chaque partie. Une île générée aléatoirement à partir d’éléments conçus par Ed Key et son camarade musicien David Kanaga et, donc, à chaque fois différente. On y rencontre des animaux stylisés qui réagissent à notre approche. Une grenouille, un écureuil, un hibou, des libellules. Et ces points lumineux qui dansent dans la nuit, ne serait-ce pas des lucioles ? Car le soir tombe, le jour se lève, les saisons se succèdent. Autant de transitions sur lesquels il est possible d’influer.

A moins que ce ne soit qu’une illusion ? Car, comme sur l’origine de certaines formes que l’on aperçoit (dessinées par l’auteur ou semées au hasard par le programme ?), Proteus fait planer un doux mystère sur les effets réels de notre passage, et sa véritable radicalité est sans doute là. Le joueur est-il un protagoniste décisif ou un témoin tout juste autorisé à apporter sa touche discrète au chant syncopé de cet étrange monde synthétique ? Le doute subsiste et ne rend pas le voyage moins captivant mais, au contraire, plus précieux, plus troublant. Pas de liste de choses à faire, juste l’impulsion du moment, course effrénée dans les feuilles mortes, pause méditative, clin d’œil aux étoiles filantes. Et si ça ne rimait à rien, tant pis, ça compterait quand même. La fin vaut le détour, aussi.

(Paru dans Les Inrockuptibles n°899, 20 février 2013)

Sur Mac, PC, PS3 et Vita (Ed Key & David Kanaga)

Erwan Higuinen

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