« Monkey ! » La jeune rouquine aux yeux clairs hurle son inquiétude pour notre héros, confronté aux assauts de nouveaux robots belliqueux entre deux escalades périlleuses. Ce n’est pas, loin s’en faut, la première fois qu’un jeu vidéo tente de faire exister la relation entre deux personnages, l’un que l’on dirige, l’autre qui l’accompagne et qui l’aide, ou qu’il doit protéger – Ico était un modèle du genre, Uncharted une belle réussite. Mais celle-ci s’était rarement révélé aussi touchante, aussi subtile, en un mot : aussi vraie que dans Enslaved. Dont les auteurs ont l’immense mérite d’avoir compris qu’il était souvent plus payant d’en faire moins (un regard fugitif à la fin d’une séquence, par exemple) que de tout souligner dans de pompeux dialogues.
Librement inspiré du Voyage en Occident, légende chinoise dont Damon Albarn fit un opéra (Monkey, Journey to the West) et Akira Toriyama un manga (Dragon Ball), Enslaved est d’abord le résultat de la rencontre entre les développeurs du studio anglais Ninja Theory, auteurs du décevant (mais plastiquement superbe) Heavenly Sword et du prochain Devil May Cry, et de l’écrivain-scénariste (et gamer patenté) Alex Garland (La Plage, 28 Jours plus tard). Entre eux, la collaboration fut fructueuse, contribuant à donner une cohérence rare à Enslaved, jeu qui – et c’est un signe de sa réussite – vaut infiniment plus que la somme de ses parties.
Ces dernières, il faut le reconnaître, sont déjà bien référencées. La grimpette à la Prince of Persia, les combats, les poursuites, les petites énigmes qui invitent à se creuser la tête, un peu de tir, quelques phases aériennes, le tout entremêlé d’interludes narratifs et néanmoins mené à un train d’enfer. Bienvenue sur les montagnes russes, les amis, mais n’oubliez surtout pas de profiter du paysage. Ces verts, ces bleus, ces ciels et ces étendues d’eau qui tranchent avec l’ordinaire gris-brun du jeu vidéo contemporain. Et si l’on se trouvera parfois plongé dans l’obscurité, cette dernière nous fera d’autant plus d’effet c’est de la lumière que l’on vient.
De retour dans le village de montagne de son enfance, notre accorte accompagnatrice se désole de le découvrir sans vie. Elle se lamente, elle divague et, alors que l’on tente de la rejoindre, ses sanglots nous vont droit au cœur. Sèche tes larmes, adorable amie. S’il le faut, pour toi, Monkey risquera sa vie.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°779, 3 novembre 2010)
Enslaved : Odyssey to the West (Ninja Theory / Bandai Namco), sur PS3 et Xbox 360