Rayman Origins

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« Là, c’est un travail d’organisation : vous prenez le haut, moi je prends le bas. » Assis à la droite de Michel Ancel et cramponné à la manette de jeu, on obtempère tout comme, à sa gauche, son complice Christophe Héral, auteur de la musique du jeu. Sur l’écran s’agitent de joyeux héros que l’on avait perdus de vue : Rayman, avec son gros nez mais toujours ni bras ni jambes pour relier ses pieds et mains à son torse, ou ce bon vieux Globox, idiot comme au premier jour. Seize ans après lui avoir donné naissance, douze ans après en avoir laissé la garde à d’autres game designers au sortir de Rayman 2, Michel Ancel a repris en main le destin de son plus fameux personnage. Entre-temps, l’ex-enfant prodige du jeu vidéo français qui fêtera ses 40 ans en 2012, noble Chevalier dans l’Ordre des Arts et des lettres depuis 2006, s’était essayé à l’aventure poético-politique avec Beyond Good & Evil, s’était vu confier par Peter Jackson lui-même, fan dudit BG&E, la tâche d’adapter King Kong et avait participé à la création des joyeusement insupportables Lapins Crétins.

Ses retrouvailles avec Rayman ont de quoi surprendre ceux qui penseraient que le jeu vidéo a définitivement basculé dans le camp des blockbusters guerriers et des mondes ouverts en 3D. Car si le style très cartoon de Rayman Origins profite pleinement du passage en haute définition, l’action se déroule sur un seul plan comme dans les jeux de plateforme d’antan. Mais il n’est pas seul sur ce terrain : New Super Mario Bros Wii et Little Big Planet ont aussi tenté ces dernières années le revival 2D. Et, comme le nouveau bébé de Michel Ancel, se pratiquaient aussi bien seul qu’à deux, trois ou quatre joueurs. « On s’inscrit dans la lignée de ces jeux qui ont été un peu mis de côté avec l’avènement de la 3D, qui est maintenant arrivée à maturité, souligne-t-il en se remémorant ses vieilles parties de Bomberman. Dans le cinéma d’animation, on a le plaisir de revoir des films en 2D, de redécouvrir un autre type d’image. Tout cela cohabite. C’est un peu la même chose dans le jeu vidéo, sachant que le gameplay va aussi être différent : on ne joue pas de la même façon en 2D et en 3D. »

Nous approchons d’une section sous-marine du jeu. « J’adore plonger, révèle Michel Ancel qui conçoit ses jeux au sein de l’antenne montpelliéraine d’Ubisoft, une grande maison que les membres du studio ont eux-mêmes rénovée. On habite près de la mer donc on est tout le temps sous l’eau, on donne à manger à des poulpes… J’aime bien ce passage. La musique s’arrête. On arrive sur un gameplay assez marrant, de phosphorescence. C’est du dosage. J’y vais, j’y vais pas ? » Christophe Héral : « Moi, j’y vais pas. » Ancel : « Là, on va arriver dans le noir. Faut pas que je me fasse toucher. » Héral : « Mais tu es fort… »

Ne pas s’arrêter à l’allure facétieuse, à l’extrême accessibilité de Rayman Origins, pensé pour accueillir les gamers hardcore mais aussi les touristes émerveillés. « C’est comme une descente de ski entre potes, explique Ancel. Tout le monde va arriver en bas mais il y en a qui vont passer par les côtés, qui vont faire des figures, aller dans les arbres ou sur les bosses. » Mais revenons sous l’eau. « Le monde aquatique, c’est vraiment l’expérience de la plongée où la lumière se raréfie. Parfois, on regarde son nanomètre, on commence à se poser des questions. Est-ce qu’on va pouvoir remonter ? J’ai fait des plongées dans des cavernes. Ce sont des sensations que j’essaie de retranscrire. J’ai aussi des souvenirs de jeux très basiques, quand j’ai commencé à jouer. On s’engouffrait dans les entrailles de la terre, dans des labyrinthes improbables. Et même si c’était en 2D, cette immersion était déjà présente. »

Rayman Origins était à l’origine un projet léger, conçu en petit comité. Un jeu divisé en épisodes à télécharger, façon série télé, dont les secrets devaient se révéler aux joueurs d’année en année. Et puis, finalement, c’est devenu autre chose : un titre à enjeu pour son éditeur, une sortie de Noël, avec une belle boîte, dans les grands magasins. « Il a fallu tout à coup trouver des artistes aussi bons que les cinq qu’on avait, se souvient Michel Ancel. On a eu la chance de pouvoir le faire parce que dans le domaine du dessin animé, il y a beaucoup de gens qui peuvent apporter leur savoir-faire en terme d’illustration. En gros, on a compacté le temps. » Mais sans rompre avec l’ambition artisanale d’origine, le joueur en sera témoin. Ancel : « T’avais pas vu la fleur ? » Héral : « Elle est vraiment très cool, cette fleur. »

(Paru dans Les Inrockuptibles n°834, 23 novembre 2011)

Rayman Origins (Ubisoft), sur Wii, PS3, Xbox 360, 3DS, Vita, Mac et PC

Erwan Higuinen

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