Limbo

Limbo

Il fait nuit. Sans bien savoir pourquoi mais avec le sentiment que quelque chose de grave s’est produit, vous voilà seul dans la forêt. Et vous n’avez pas le choix : il vous faut avancer, vers la droite de l’écran, comme si souvent dans les jeux vidéo. Mais Limbo a quelque chose de spécial, de profondément marquant : son style, son ambiance, la mise en scène même des épreuves qu’il impose au joueur apeuré.

Première production du studio danois Playdead doublement primée au dernier Independant Games Festival, Limbo se distingue par son esthétique. La 2D, passe encore : elle revient en force par le versant arty (Braid, Crayon Physics…) du jeu vidéo comme sur sa face plus industrielle (New Super Mario Bros, les prochains Rayman et Donkey Kong). Mais ce noir et blanc vaporeux, cette bande son torturée, cette morbidité (le joueur sera notamment amené à traîner le corps d’un noyé pour l’utiliser dans sa progression) ? Il fallait oser. Et cette audace fait justement le prix de Limbo, confirmant au passage tout ce qu’apporte au jeu vidéo le développement des services de téléchargement en offrant une exposition nouvelle à des créations indépendantes qui n’aurait jamais survécu aux circuits de distribution traditionnels.

Paradoxalement, Limbo n’est pourtant pas si original qu’on pourrait le croire. Sa grammaire ludique est celle du jeu de plateforme le plus classique. Il faudra bondir au-dessus du vide et déplacer des caisses qui, une fois escaladées nous permettront d’atteindre une zone plus élevée. Son principe est même celui d’un quasi sous-genre antédiluvien : le die & retry. Mourir et retenter sa chance : les pièges que nous tend Limbo sont en effet pour la plupart de ceux qu’il est impossible d’anticiper, d’esquiver à sa première tentative. Il faudra donc commencer par échouer (et, à l’occasion, bien plus d’une fois) avant de trouver le moyen de les déjouer. Sa logique est celle de l’éternel recommencement. C’est aussi sa limite : en s’appuyant parfois un peu lourdement sur de vieux dispositifs ludiques, en particulier dans son dernier tiers (le jeu est court : compter 3 à 5 heures pour en voir le bout), Limbo court le risque de perdre son joueur, qui peste dans son salon en oubliant la forêt. Mais cette démarche a les mérites de sa radicalité : c’est un cauchemar, peuplé d’araignées géantes en ombres chinoises et d’hommes muets (mais sont-ils vraiment humains ?) mal intentionnés, que nous sommes invités à vivre.

On pourrait faire la liste des jeux dont le très ludophile Limbo prend élégamment la suite (Flashback et Another World pour les anciens, Ico et les deux premiers Oddworld pour les modernes). On pourrait aussi souligner l’ironie avec laquelle il déconstruit certaines conventions du médium (un interrupteur ne déclenchera pas forcément le mécanisme que l’on imagine – on n’en dira pas plus). Mieux vaut sans doute souligner ce qu’il offre de vraiment singulier : l’expérience envoûtante de la fragilité batailleuse.

(Paru dans Les Inrockuptibles n°770, 1er septembre 2010)

Limbo (Playdead), sur PS3, PS4, Vita, Xbox 360, PC, Mac et iOS

Erwan Higuinen

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