Cloudberry Kingdom

Cloudberry

Et si, alors que l’on s’échine à célébrer leurs mérites, les concepteurs de jeux vidéo décidaient de s’effacer pour déléguer à la machine la part a priori la plus créative de leur travail ? C’est ce que viennent de faire les New-Yorkais de Pwnee Studios avec Cloudberry Kingdom, jeu de plateforme 2D dans la grande tradition du genre (univers coloré, parcours piégeux, héros rigolo) à un détail près : l’architecture de ses niveaux n’est pas le fruit de l’ingéniosité humaine mais d’un programme informatique. Les algorithmes de génération procédurale n’ont certes rien d’une nouveauté. Des donjons de Diablo aux environnements de Minecraft en passant par l’île de Proteus, Cloudberry Kingdom s’inscrit même dans une grande tradition de level design semi-aléatoire, mais jamais aucun jeu de plateforme, genre où la précision est reine, ne s’y était encore essayé à cette échelle.

Aurait-on réagi différemment si les développeurs n’avaient pas levé le voile sur leurs secrets de fabrication ? Toujours est-il que l’expérience procure un sentiment étrange : celui que, si le système fonctionne, quelque chose manque quand même. Une présence, un sens, une âme. Tout grand jeu de plateforme, de Yoshi’s Island à Super Meat Boy, est un reflet de la personnalité de son (ou ses) auteur(s) avec qui s’instaure une sorte de dialogue à distance. C’est un défi qu’ils nous lancent, une vision qu’ils nous font partager, un tempo qu’ils nous invitent à adopter. Et les moments les plus forts, justement, sont ceux où, tout en jouant, on prend conscience d’une idée subtile, on reconnaît une intention malicieuse, on identifie un style. Par la force des choses, il n’y a rien de tout cela dans Cloudberry Kingdom (qui compense en partie par l’abondance de ses modes de jeu).

D’où, parfois, l’impression qu’il est vain de s’accrocher – l’aventure se révèle d’une difficulté franchement élevée – puisque l’épreuve qui nous pose problème n’a pas été pensée, puisqu’elle n’est qu’un effet du hasard (ainsi que, quand même, des paramètres intégrés à leur programme par les apprentis sorciers de Pwnee Studios). Et puis, soudain, voilà qu’un niveau se révèle absolument brillant, l’organisation de ses éléments (plateformes fixes ou mobiles, piques sortant du sol, lasers clignotants…) tenant du coup de génie. Si Cloudberry Kingdom était une œuvre filmique, ce ne serait pas un long métrage d’auteur mais, plutôt, le flux incertain, globalement ennuyeux mais d’une beauté ponctuellement troublante, enregistré par une caméra de surveillance. Or, parfois, le hasard fait magnifiquement les choses.

(Paru dans Les Inrockuptibles n°925, 21 août 2013)

Cloudberry Kingdom (Pwnee Studios / Ubisoft), sur PS3, Xbox 360, Wii U et PC

Erwan Higuinen

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