On ne rêve pas ? C’est bien une baleine translucide qui flotte au milieu… Au milieu de quoi, d’ailleurs ? De vaisseaux-fleurs incandescents, de cubes explosifs, de formes flamboyantes et toujours changeantes, inédites et pourtant étrangement familières ? Le très singulier Tetsuya Mizuguchi est de retour. Le successeur spirituel de ce qui constituait jusqu’alors son chef-d’œuvre, le très culte (expression galvaudée mais, pour une fois, tout à fait justifiée) Rez, paru en 2001, est enfin arrivé.
Child of Eden est assurément un jeu qui sort de l’ordinaire. Et pas seulement parce qu’il exploite de la manière la plus convaincante à ce jour Kinect, le système de détection de mouvements de la Xbox 360. Bien que le voyage (car, oui, c’en est un) demeure accessible aux accros à la manette – le gameplay, alors, se révèle très proche de celui de Rez –, c’est si l’on choisit de rester debout face à l’écran qu’il nous emmènera le plus loin. Dans ce jeu qui s’approprie pour les détourner les conventions du shoot’em up, chacune de nos mains déclenche un type de tir différent (pour « purifier » et non détruire ce que l’on vise : la guerre est étrangère à Child of Eden). La droite permet de verrouiller des cibles puis, d’une poussée vers l’avant, de leur envoyer nos missiles d’amour. La gauche catapulte des projectiles plus nombreux mais moins puissants. Et qui produisent un autre son de percussion.
La grande affaire de Mizuguchi, auteur dans une autre vie de l’indémodable Sega Rallye, c’est la synesthésie, depuis Rez qui fut un temps connu sous le nom de K-Project. K pour Kandinsky. Child of Eden repose aussi sur l’association (ou la fusion, la confusion) des sens. Qu’essaie-t-on de faire quand on y joue ? Veut-on vaincre (pardon, purifier) les figures qui parsèment l’écran ou se muer en chef d’orchestre d’un feu d’artifice musical ? En sollicitant tout le corps (il suffit de se pencher pour modifier le point de vue sur l’action), Child of Eden pousse les choses très loin, jusqu’à la transe. La technologie enfante une ahurissante expérience quasi primitive. Et l’on se surprend à danser au rythme de son spectacle total.
On ne rêve peut-être pas, mais c’est tout comme. « Un final désastreux, mais sans le grotesque la beauté ne serait rien », nous explique le jeu si l’on n’arrive pas au bout de son troisième niveau. Grotesque ou pas, Child of Eden n’est que beauté.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°814, 6 juillet 2011)
Child of Eden (Q Entertainment / Ubisoft), sur Xbox 360 et PS3
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