Luxuria Superbia

Luxuria

Jusqu’où iriez-vous pour satisfaire votre tablette ? La question peut surprendre mais, vu le degré d’intimité qui existe entre l’humain moderne et ses gadgets électroniques, est-elle vraiment absurde ? Car si, au moins jusqu’à preuve du contraire, ces derniers n’ont pas d’âme, ils possèdent bien une forme, une surface et un langage de lumières et de sons. On les traîne partout, on les serre bien fort, on les sent vibrer et ça réchauffe le cœur. Le moment est enfin venu de leur rendre un peu de ce qu’ils nous ont offert – ça vous fera du bien, à vous aussi, c’est promis.

Déjà plus de 10 ans que le studio belge Tale of Tales, soit le couple formé par Auriea Harvey et Michaël Samyn, repousse en douce les frontières du jeu vidéo. A moins que ce ne soient celles des arts numériques, mais peu importe au fond. Il y eut The Path, leur relecture du Petit Chaperon rouge, et puis le funèbre The Graveyard ou encore Bientôt l’été qui, il y a un an, se nourrissait de l’œuvre (et de la vie) de Marguerite Duras. Il y a aujourd’hui Luxuria Superbia qui réussit la performance d’être à la fois leur création la plus expérimentale et, étrangement, la plus gamer, une sorte de cousin flamand, souvent rose mais pas tout le temps, des jeux de Jeff Minter (Space Giraffe, Tempest 2000) et de Tetsuya Mizuguchi (Rez, Child of Eden). Comme eux, tiens, les Harvey-Samyn n’hésitent jamais à offrir au joueur de somptueux bien qu’improbables présents. Des fleurs, des feuilles, des arbres, des hirondelles ou des papillons qui s’approchent en voletant.

Si l’on opte pour une version tactile du jeu (lequel, sur ordi, se pratique agréablement au joypad ou à la souris), ce “nous” est un doigt qui, d’abord, hésite à l’entrée de… mais qu’est-ce que c’est ? Un tunnel ? Ou alors… Eh oui ! Le doigt effleure, tapote, caresse, écarte. Un deuxième le rejoint. Les gestes se font plus assurés et les réactions plus tranchées. Les couleurs changent, les bourgeons éclosent et voilà que l’on fait de la musique. « Be my wind » s’affiche à l’écran. Et puis « Take all of me », « Deep in the heart of existence ». Tout devient blanc, « Yes ! », « That was magic ! », « Kiss me ! » C’était quoi, cet interlude fébrile, en apesanteur ? Ce pèlerinage lascif à l’origine d’un monde mouvant, technologique et pop, étrange et pourtant familier, dans cette zone incertaine où la pure abstraction et le concret le plus viscéral se confondent ? Luxuria Superbia est ce trip mais aussi ce doute, ce vertige. Et cette révélation : la machine a besoin de nous. Et c’est pour ça qu’on a besoin d’elle.

(Paru dans Games n°1, décembre 2013)

Luxuria Superbia (Tale of Tales), sur iPhone, iPad, Android, Mac et PC

Erwan Higuinen

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