Enfin, l’Europe découvre Dragon Quest, monument du jeu de rôle (ou RPG) japonais. Au pays qui l’a vu naître il y a exactement 20 ans, la série est un phénomène à la popularité inentamable, l’égale des Final Fantasy qui, apparus en 1987, lui devaient d’ailleurs à l’époque beaucoup. Au fil des années, les deux sagas ont cependant suivi des routes divergentes : alors que Final Fantasy tournait peu à peu (et avec talent) au grand spectacle scintillant, Dragon Quest préférait s’accrocher à ses principes d’origine et peaufiner ses mécaniques ludiques, refusant par exemple d’adopter la 3D intégrale avant cette Odyssée du roi maudit, son huitième volet. Là où, flirtant avec le cinéma interactif ou le collage pop, Final Fantasy tient parfois du « sur-RPG » (à la manière du « sur-western » défini par André Bazin dans les années 50 comme « un western qui aurait honte de n’être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire »), Dragon Quest s’affiche délibérément, fermement, magnifiquement classique.
De fait, la grandeur du jeu ne naît pas tant de l’originalité de ce qu’il propose que de l’élégance inspirée avec laquelle il recrée et associe les éléments emblématiques du genre. Comme de coutume, le joueur dirige un groupe d’aventuriers à travers des contrées féeriques, affronte quantité de monstres effrayants ou burlesques et participe à la progression d’un récit dont l’enjeu sera une fois encore de sauver le monde. Pourtant, jamais ne s’installe le moindre sentiment routinier. Chaque découverte d’un nouveau paysage, d’une nouvelle ville, d’une nouvelle société que l’on apprend à connaître surprend et émerveille. Les combats se révèlent à la fois stratégiques et entêtants, la gestion de l’équipement des héros (car tout RPG est aussi une simulation de shopping) passionne au-delà du raisonnable.
Quant au récit, bien que globalement balisé, il parvient à émouvoir par ses poussées de fièvre sentimentale et son art de la saynète simple et évocatrice (autour d’un roi veuf inconsolable, d’un serviteur timide et maltraité, d’une voleuse faussement cynique, voire d’une taupe géante qui se croit mélomane). L’ample épopée se double en effet d’un sens acéré du détail précieux qui rayonne tout au long des dizaines d’heures (pourtant dépourvues de « longueurs ») que dure cette Odyssée jamais indigne de ne se nommer ainsi. Dragon Quest n’est pas le jeu vidéo le plus novateur ou le plus abouti graphiquement. Mais c’est un chef-d’œuvre, assurément.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°551, 20 juin 2006)
Dragon Quest VIII : L’Odyssée du roi maudit (Square Enix), sur PS2
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