Au fil du câble : Dwan, Grosbard, Maté, Murnau, Cukor

OneMile

Haute Tension (High Tension, 1936) et One Mile From Heaven (1937) d’Allan Dwan, CinéCinéma Classic.

A côté du pionnier (années 10-20) et du réalisateur de séries B pour les studios Republic (années 40-50), c’est un troisième Allan Dwan que propose de découvrir CinéCinéma Classic avec deux comédies flirtant avec le mélo (surtout la seconde), tournées dans les mêmes années que Heidi et Suez mais peu réputés. De fait, One Mile From Heaven pâtit d’une fin déplaisante et Haute Tension a des airs de version réduite du duo épico-sentimental aérien de Capra Flight Dirigible (1929-1931). Mais ces deux films à la fois lisses et heurtés frappent, à un niveau qui n’est pas exactement celui de la narration, par les aventures qui s’y offrent à des scènes conçues comme autant de mondes autonomes avec leurs règles, leur ambiance, leur rythme. Le catalyseur, c’est à chaque fois l’action imparfaitement consciente d’un personnage, un ingénieur désinvolte dans Haute Tension, une journaliste naïvement retorse dans One Mile From Heaven. L’air de rien, Dwan filme ici ses héros comme de séduisants virus.

Confessions

Sanglantes confessions (True Confessions, 1981) d’Ulu Grosbard, sur 13ème Rue.

On pense rarement à Ulu Grosbard, cinéaste à éclipses (sept films depuis 1968) qui se rappelle dans ses meilleurs moments qu’avant de se lancer dans la mise en scène (théâtre et cinéma), il fut tailleur de diamants. Cela vaut pour sa direction d’acteurs ou sa conduite du récit, sur un film entier ou pour quelques séquences (voir la filiation Raymond Carver de sa dernière réalisation en date, l’inégal Aussi profond que l’océan, 1999). Inspiré de l’affaire du « Dahlia Noir », Sanglantes confessions n’est pas ce qu’il paraît. Pas une enquête policière ou introspective, pas un film d’ambiance ou un tableau urbain d’époque (années 40). Son « personnage » principal, c’est l’écart entre deux frères respectivement flic coriace (Robert Duvall) et ecclésiastique haut placé (Robert De Niro). La distance spatiale ou morale, les points communs et dissemblances gestuelles, le décalage entre ce que l’un et l’autre savent de quelques affaires louches. Voilà ce qui se transforme ici, ce que filme Grosbard, avec une minutie rare.

ChocDesMondes

Le Choc des mondes (When Worlds Collide, 1951) de Rudolph Maté, sur Cinéfaz.

Diffusé par Cinéfaz dans un cycle sur la science-fiction années 50, Le Choc des mondes est l’unique incursion dans le genre de Rudolph Maté, chef opérateur (de Dreyer, notamment) devenu réalisateur de séries B. Bientôt, ce sera la fin du monde. La planète Zyra frôlera la Terre, puis une étoile l’anéantira. Que faire ? Bâtir une nouvelle Arche de Noé pour coloniser Zyra, certes, mais ce n’est que l’une des façons dont les personnages occupent le temps. Car d’autres sont possibles : brûler des billets, draguer, se marier… Le trouble naît de cette expérimentation angoissée, existentielle (pour les personnages) mais aussi esthétique (la fin du monde annoncée redouble celle du film, et la même question se pose au cinéaste). Si Le Choc des mondes n’est pas tout à fait à la hauteur de son principe interrogatif, celui-ci lui procure de beaux moments, et lui permet d’éviter le pire : la réception au second degré.

Faust

Faust (1926) de Friedrich Wilhelm Murnau, sur Arte.

Surtout, ne pas prendre peur. Ou si, mais seulement des agissements du sombrement facétieux Méphisto, et surtout, à deux reprises au moins, de la foule fanatique (qui est ici la véritable menace) et surtout pas du film lui-même, de sa renommée. Evidemment, Faust est l’un des plus grands films qui soient, mais pas d’une manière intimidante et monumentale. C’est même l’un de ceux qui concilient le mieux puissance figurative et capacité d’« accueil ». Avec, en guise de guide pour nous aussi, Méphisto qui est le metteur en scène, non pas le créateur du monde mais celui qui en joue le mieux, celui qui donne à voir (en projetant des images-promesses ou menaces) et à désirer. Revoir Faust ? Bien sûr : dès qu’on l’a suffisamment oublié.

Liaisons coupables

Liaisons coupables (The Chapman Report, 1962) de George Cukor, sur TCM.

Vingt-trois ans après Women, Liaisons coupables fut le dernier des films de groupes féminins de Cukor. Mais il est peut-être plus fructueux de rapprocher cette suite de variations fantasmatiques discrètement queer autour du rapport Kinsey (sur la sexualité des Américains, dont le volet féminin parut en 1953) de ses successeurs inavoués que de l’œuvre antérieure de son auteur. Au programme du film : la confrontation d’un discours sur le désir et les pratiques qui en découlent (celui du rapport à venir et des femmes qui se racontent à l’enquêteur) et de situations-cas comme extraites d’une collection de scènes de comédie et de comportements de l’époque. Les séquences dont la portée oscille sans cesse entre l’exemplaire et le singulier sont comme mises en série, en épisodes disjoints, à suivre d’un acte à l’autre de la fiction. Liaisons coupables, c’est « Sex and the Suburbs », un objet à la fois dépassé et novateur, où s’assemblent des morceaux de comédie classique, mais pour s’engager sur une autre voie.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°576, rubrique « Au fil du câble », mars 2003)

Erwan Higuinen

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