Yakuza

Yakuza

Au vu des premières images de Yakuza représentant un jeune homme, de dos, dans une ville asiatique contemporaine, beaucoup ont retenu leur souffle. Et si c’était là le successeur du bien-aimé Shenmue, chef-d’œuvre du jeu vidéo devenu gouffre financier pour Sega et, en conséquence, laissé en plan après seulement deux épisodes ? D’autres ont cru y deviner un GTA à la sauce nippone malgré le peu d’affection pour la série en question avoué par Toshihiro Nagoshi, auteur de Yakuza et, auparavant, de Super Monkey Ball et F-Zero GX. Mais on ne trouvera ici ni la dimension contemplative de Shenmue ni l’élan transgressif de GTA. Structurellement plus classique, Yakuza s’apparente en fait à un jeu de rôle (ou RPG), alternant récit dirigé (l’aventure principale), quêtes secondaires (facultatives mais essentielles au sentiment d’existence et de cohérence de son univers) et combats fréquents (la victoire étant récompensée par des points destinés à améliorer les caractéristiques de son personnage). Mais avec une audace étonnante : lesdits affrontements ne se font pas stratégiquement au tour par tour mais sous forme de bagarres à main nue façon Tekken ou Virtua Fighter.

Le quartier que l’on arpente en compagnie de Kazuma Kiryu, yakuza tout juste sorti de la prison où il a passé dix ans pour un meurtre dont il est innocent, n’est pas de ceux que l’on rencontre souvent dans les jeux vidéo. C’est une ville où le jour ne semble jamais se lever, peuplée de petites frappes, grands criminels et salarymen en goguette, et dont les rues regorgent de night-clubs, de salons de massage, de bars à hôtesses (ou à hôtes), de salles de jeu… Nourri de cinéma policier japonais, Yakuza nous plonge simultanément dans ces lieux à l’ambiance soigneusement travaillée et dans une intrigue tarabiscotée où les alliances se nouent et se dénouent entre violence sans merci et éclats sentimentaux joliment assumés (l’un des enjeux est de venir en aide à une petite fille). Car ce que Yakuza partage avec Shenmue et GTA, c’est un rapport aussi stimulant qu’émouvant à l’espace urbain, perçu à la fois comme un assemblage de territoires (à découvrir, à conquérir) et comme un réservoir inépuisable de micro-fictions et de situations ludiques. Une idée dont le jeu livre une riche interprétation, discrètement ambitieuse, singulièrement élégante.

(Paru dans Les Inrockuptibles n°566, 3 octobre 2006)

Yakuza (Sega), sur PS2

Erwan Higuinen

Un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.