Tous les autres s’appellent Ali

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Au fond, Tous les autres s’appellent Ali est un film qui lutte contre l’exclusion. Mais avec ses moyens: ceux du cinéma. Dans cette œuvre de 1973, Fassbinder met en scène une sexagénaire allemande et un immigré marocain beaucoup plus jeune en train de vivre une improbable histoire d’amour. Improbable car jamais vue et jamais vue parce qu’implicitement interdite, dans la vie comme à l’écran. Mais Fassbinder n’en a cure. Il décide d’offrir les rôles principaux d’un mélodrame classique, remake avoué de Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, à deux personnages qui sont généralement, au mieux, repoussés dans les marges, au pire, carrément exclus du cinéma. Lui les intègre à une fiction qui, terrible préjugé, ne semblait a priori pas pour eux.

Et la greffe fonctionne parfaitement. De façon tout à fait classique, les amoureux sont rejetés par leur «famille» (enfants, collègues, voisines pour l’une; filles qu’il avait l’habitude de fréquenter pour l’autre) mais, malgré les embûches et les petites trahisons, leur amour sera plus fort.

Comme toujours chez Fassbinder, le rapport problématique de l’Allemagne de l’après-guerre à son histoire récente est présent en filigrane, apparaissant régulièrement par petites touches: comportements banalement racistes ou remarques faussement anodines des personnages. Ainsi, l’amoureuse confessera sans gêne avoir autrefois été membre du parti nazi (« comme tout le monde à l’époque ») et lorsque, pour célébrer leur mariage, elle emmène son tout nouvel époux dans le restaurant de ses rêves, elle ne manque pas de préciser qu’Hitler aimait le fréquenter, ce qui, pour elle, ne semble qu’en accroître le prestige.

Ces intrusions du réel et de l’Histoire nourrissent constamment la fiction qui ne devient jamais film à thèse mais reste fidèle au désir de l’auteur de tourner un beau mélodrame avec deux personnages de cinéma inhabituels. Et, au bout du compte, Fassbinder réussit l’essentiel : rendre l’invraisemblable évident.

(Paru dans Libération du 11 avril 1997)

Tous les autres s’appellent Ali (1974) de Rainer Werner Fassbinder

Erwan Higuinen

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