Bully / Canis Canem Edit

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Dans l’histoire vidéoludique récente, il y a un avant et un après GTA 3. Si l’on ne compte plus les jeux inspirés du phénomène des studios Rockstar, rares sont pourtant les éditeurs qui ont eu l’idée d’en transposer la formule gagnante dans un univers autre que celui des gangs urbains. Le coup de génie est à nouveau signé Rockstar qui, sur les bases du jeu qui a fait son succès, invite cette fois le joueur à fantasmer son retour au lycée. Et, plus précisément, à intégrer une autoritaire (bien qu’un rien anarchique) institution privée dont les élèves (nerds, sportifs, bourgeois, blousons noirs…) ne dépayseront pas les amateurs de teen movies.

Si les rumeurs précédant sa sortie laissaient au moins attendre un simulateur de Columbine, Canis Canem Edit (autrefois connu sous le nom de Bully et rebaptisé sur le tard) en est pourtant bien loin, qui confirme surtout l’art inégalé de Rockstar pour la satire sociale mâtinée de jeu avec la culture pop. On s’en serait douté : du côté des enseignants comme de celui des élèves, la névrose et les bassesses ne manquent pas, alors que la dimension transgressive inhérente au système GTA prend une nouvelle dimension dans cet univers comparativement plus proche du quotidien. Car, loin de disparaître, les contraintes et interdits sont au contraire au cœur du gameplay, qu’il s’agisse du règlement du lycée ou des « missions » qui, selon les cas, nous sont proposées ou imposées. Mais c’est encore sa manière de marier, sans en sacrifier aucune, la liberté d’action (voire de création de micro-fictions) à une narration d’une intelligence rare qui impressionne le plus dans Canis Canem Edit, révélateur sarcastique du potentiel aventurier de nos années lycée.

(Paru dans Les Inrockuptibles n°575, 5 décembre 2006)

Bully

Adieu, guerriers barbares, gangsters arrivistes et space marines musculeux. Bully nous invite à tenir un rôle beaucoup moins commun : celui d’un lycéen. Nouvelle version revue (notamment dans sa version Wii aux mini-épreuves spéciales), augmentée et légèrement enjolivée du Canis Canem Edit paru à l’origine en 2006 sur PS2, Bully demeure l’un des meilleurs exemples d’utilisation de la structure inventée par les auteurs de GTA – qui se trouvent être aussi les siens. Soit la mise à disposition du joueur d’un espace cohérent où il découvrira alternativement des missions obligatoires (dont la réussite fait progresser un récit finement satirique), des épreuves facultatives, mais aussi, dans ce monde-bac à sable, une myriades de possibilités d’interaction « gratuites », intéressantes et/ou burlesques (s’introduire nuitamment dans le dortoir des filles, jouer à cache-cache avec les surveillants, etc.)

Si, suivant en cela aussi le modèle GTA, Bully nous offre un territoire de jeu toujours plus étendu (après le campus viendront la fête foraine, le centre-ville, un quartier résidentiel…) au fil de ses chapitres, c’est bien à l’élection du monde scolaire (revu façon teen movie) comme espace premier d’activités que le jeu doit d’abord sa réussite. Un choix curieusement bien rare dans le jeu vidéo depuis l’antique diptyque Skool Daze / Back to Skool dont se souviennent peut-être les vétérans du ZX Spectrum et des années 80. Et un exemple que l’on rêverait de voir suivi en masse par les créateurs du monde entier. Et s’ils oubliaient un peu l’heroic fantasy et les épopées guerrières pour explorer davantage le potentiel ludique de notre quotidien ?

(Paru dans Les Inrockuptibles n°645, 8 avril 2008)

Bully / Canis Canem Edit (Rockstar Games), sur PS2, Wii et Xbox 360

 

Erwan Higuinen

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