La Rivière sans retour

Rivière

On ne se lassera jamais de La Rivière sans retour, ce film qui, comme l’écrivait à l’époque (en 1954) Truffaut, « n’a que le plaisir des yeux pour objet et la beauté de chaque plan pour justification de ce plaisir ». Pourtant, on était prêt à ronchonner, à se plaindre du manque d’imagination des programmateurs télé qui le diffusent si souvent au lieu d’aller chercher dans la filmographie d’Otto Preminger des petits bijoux plus rares comme Fallen Angel, Daisy Kenyon ou Mark Dixon, détective. Mais, comme à chaque fois, on se laisse prendre à la rude élégance de ce river movie coloré, de ce parcours initiatique d’un homme, une femme et un enfant qui se cognent, changent, se découvrent et s’allient peu à peu. Sur leur fragile radeau, ils défient le courant, les voleurs, les Indiens, pour se réinventer une famille où l’affection n’empêche pas d’être lucide sur les qualités et les défauts des autres.

Un an avant La Nuit du chasseur de Laughton, Mitchum est ici un bon père mais, autrefois, il a tué un homme en lui tirant une balle dans le dos. Massif et distant, il surjoue l’assurance pour dissimuler ce secret à son fils admiratif. Face à lui, Marilyn Monroe campe une chanteuse de saloon amoureuse d’un autre, entraîneuse sentimentale en quête d’un nouveau départ qui en oublie presque de minauder. Chacun semble hanté par ses rôles précédents, espérant trouver la fiction idéale pour s’y arrêter enfin ­ – « on rentre à la maison » sera, dans la bouche de Mitchum, la dernière phrase du film. Auparavant, le long du fleuve, il aura fallu lutter, contenir ou cacher son désir, et s’occuper d’un enfant qui, comme celui de Moonfleet (de Fritz Lang) l’année suivante, découvre la vie en risquant la mort.

Dans ce qui restera son unique western, Preminger s’empare du genre comme il est (avec ses codes et ses figures types) et y plonge ses personnages pour un voyage physique et romanesque, un rêve de cinéma dont la fuite sera bien sans retour.

(Paru dans Libération du 13 juillet 1998)

La Rivière sans retour (River of No Return, 1954) d’Otto Preminger

Erwan Higuinen

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