Vous êtes un crétin. Un jeune Occidental parti faire la bringue sous les tropiques avec sa bande de potes pas plus fins. Mais les choses ont mal tourné et vous voilà coincé sur une île moins paradisiaque que prévu. La population locale y lutte contre les sbires surarmés d’un pirate follement pittoresque et sadique du nom de Vaas. Or, pas de chance, c’est entre ses mains perverses que vous êtes tombé. Et, après avoir fuit à travers la jungle dans un prologue étourdissant, c’est sa bande que vous, jeune demeuré ordinaire, allez devoir affronter tout en apprenant à survivre entre les mercenaires agressifs et la faune locale (sangliers, serpents, dragons de Komodo…) qui ne l’est pas moins.
Far Cry 3 est un FPS (First Person Shooter), et une suite, soit le profil type du gros jeu commercial sans âme. L’œuvre du studio Ubisoft de Montréal, que seule sa sortie tardive a empêché de postuler à notre palmarès des meilleurs jeux de 2012, est pourtant tout sauf un blockbuster opportuniste. Après Borderlands 2, Dishonored et ZombiU, il achève même de signer la rédemption d’un genre que l’on croyait usé. Car s’il ne fait l’impasse sur aucun des termes de l’expression « jeu de tir en vue subjective » (et notamment sur l’usage des armes à feu auxquelles on se cramponne fébrilement en soupesant nos munitions), ce sont plutôt les questions du point de vue (comment appréhender cette île peuplée de freaks ?) et de notre personnage en tant qu’être subjectif (qui était-il ? qu’est-il en train de devenir ?) qui structurent l’expérience.
Non content de confirmer l’étrange virage scout désaxé (j’arpente la forêt avec mon couteau en me guidant aux cris des animaux) du jeu vidéo contemporain, d’Assassin’s Creed 3 au prochain Tomb Raider, Far Cry 3 travaille sur la perte de repères et les dépaysements à répétition, quelque part entre Lost, Apocalypse Now et Alice au pays des merveilles. Et ne choisit pas entre le voyage physique (de monts en lagons, ses lieux sont somptueux) et la dérive mentale, pas plus qu’entre le récit (très relevé) et la liberté d’action (son univers-bac à sable nous est ouvert comme ceux de GTA) que les jeux peinent souvent à concilier. Le secret de sa belle cohérence est là, dans l’exploration fiévreuse, alternativement euphorique et inquiète, d’une réalité aux contours changeants. Est-on perdu ou affranchi ? En roue libre ou téléguidé ? Responsable ou malade ? Révélé à soi-même ou totalement défoncé ? Sur la plage, une tortue géante rentre sa tête dans sa carapace. Le jeune crétin vient de passer près d’elle. Dieu seul sait de quoi il est capable.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°894, 16 janvier 2013)
Far Cry 3 (Ubisoft), sur PS3, Xbox 360 et PC
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