Unknown Pleasures

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Il y a trois ans, Yu Lik-wai présentait à Cannes son premier long métrage, Love Will Tear Us Apart. Aujourd’hui, Yu est redevenu le chef opérateur de Jia Zhang-ke, dont le troisième film s’appelle Unknown Pleasures. Ces titres sont respectivement ceux d’une chanson et d’un album de Joy Division, groupe post-punk mancunien majeur (auquel Michael Winterbottom fit semblant de rendre hommage à Cannes dans 24 Hour Party People). L’hypothèse d’une coïncidence n’étant plus tenable, cette concordance des titres jette une nouvelle lumière sur le cinéma de Jia Zhang-ke et, par exemple, sur la manière qu’ont ses jeunes personnages d’imposer avec une classe inouïe leur morne impassibilité. Joy Division parvenait à faire de son désespoir véritable un style qui n’avait vocation ni à le dissimuler ni à le contredire. Il y a de cela dans les évolutions de Xiao Ji et Bin Bin, les héros désœuvrés d’Unknown Pleasures, dans leurs visages figés et leurs coupes de cheveux affolantes, dans les proclamations d’un désir de mourir avant 30 ans comme, à rebours, dans l’impossibilité de faire escalader la côte à une mobylette fatiguée (plan interminable, on souffre avec le jeune homme). C’est une pose qui se superpose au réel, qui ne signifie pas autre chose (et ne vise pas à s’en échapper) mais le redouble avec une ironie pince-sans-rire, pour prendre momentanément l’avantage (ou en donner l’illusion) alors que, de toute façon, c’est foutu.

Déjà présente dans Platform, c’est cette tendance pop paradoxale qui s’épanouit en beauté dans les longs plans-séquences d’Unknown Pleasures, c’est elle qui leur donne tout leur sens, contredit leurs airs d’objets lumpen-chic faciles et permet à certaines scènes de s’élever hors du récit tout en lui restant inextricablement liées, quelle que soit sa dimension elliptique (qui, ici, va croissant). Lorsqu’une jeune fille que son ami effondré vient de quitter nous étourdit de ses tours de vélo dans une petite cour, c’est une danse et un adieu, la première exprimant et retardant à la fois le second. Une danse à fredonner, comme la chanson qui revient plusieurs fois dans le film, de la même manière que l’évocation de Pulp Fiction, dans un café, par deux adolescents qui s’en remémorent une scène sans se souvenir d’où elle provient, tient du fredonnement. Plus tard, un DVD pirate de Pulp Fiction apparaîtra, Xiao Wu, évadé du premier film de Jia Zhang-ke, regrettant illico que celui qui le vend ne propose pas Love Will Tear Us Apart ni Platform.

Essaierait-on de faire passer Unknown Pleasures pour un nouvel exemple de cinéma-karaoké ? Et pourquoi pas ? Post-moderne, néo-teenage, il en gravit tous les échelons, ressemble à ses personnages masculins mais aussi à la chanteuse Qiao Qiao, star de sa vie quotidienne qui obsède l’élégamment pathétique Xiao Ji. Soudain, l’autre garçon et sa copine étudiante se prennent la main et chantent à tue-tête, les yeux tournés vers un téléviseur relégué hors-champ. Ces plaisirs ne nous sont pas inconnus.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°569, dossier Cannes, juin 2002)


Unknown Pleasures
(2002) de Jia Zhangke

Erwan Higuinen

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