Un si doux visage

jean-simmons-angelface-6

Elle est là, dans le salon, au piano, il a descendu l’escalier, s’est laissé guider par la musique. Elle a pleuré, lui a ordonné de la laisser, s’est redressée, l’a regardé. Il est parti, elle l’a suivi, ne l’a pas lâché. Elle l’a attiré à elle, il n’a pas résisté. Plus tard, les événements leur échapperont, ils seront assis avec les autres, spectateurs comme à peine concernés par leur propre procès pour meurtre. Angel Face, c’est quoi ? Une lente agonie dans le noir, un mensonge malhabile au téléphone, une dérive hésitante mais que rien ne saurait interrompre. Même pas un « rêve incandescent », juste un truc bêtement réel transmué en romanesque incrédule. Un grand film ? Oui, non, ce n’est vraiment plus le problème. Ce qui compte, c’est que Robert Mitchum continue à descendre l’escalier et que Jean Simmons le suive à nouveau lorsqu’il quitte la grande maison, qu’elle le fasse encore engager comme chauffeur par ses parents, qu’elle lui dise une fois de plus à quel point elle l’aime, comme jamais personne.

Et lui, est-ce qu’il l’aime ? Dans un sens oui, mais dans l’autre… Peu importe, encore une fois. L’essentiel, c’est que quand elle le regarde, il ne quitte pas la pièce. Et que lorsqu’elle cache son visage dans ses mains, il semble, pétrifié, ne savoir quel geste hasarder.

Des visages d’anges, il y en a eu bien d’autres dans les films d’Otto Preminger. Souvent, c’était celui de Gene Tierney. Mais aucun n’a jamais ressemblé à celui de Jean Simmons, tantôt toile parfaite, tantôt miroir fêlé, parfois presque laid à force d’exaltation quasi morbide, et alors encore plus beau.

Tout cela finira mal, évidemment. Au fond d’un ravin, c’est classique. Dans une accélération inouïe, ça l’est un peu moins. Mais non : tout cela ne finira jamais. A présent, elle sera toujours là, en bas de l’escalier, à son piano. A jamais en vedette dans mon peep-show sentimental perso.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma, hors-série « Nos DVD », décembre 2001)

Un si doux visage (Angel Face, 1953) d’Otto Preminger

Erwan Higuinen

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.