On l’a un peu oublié, mais il fut un temps où Ally McBeal était une sorte d’aboutissement pour la série télé, le lieu où pas mal de ses tendances convergeaient. Louis Skorecki l’avait montré dans un beau texte publié en décembre 1998 dans Libération, « D’où viens-tu, Ally ? », en appelant à la barre Steven Bochco, Friends ou X-Files. Revue quinze ans plus tard, la série d’un David E. Kelley alors au sommet de son art (ou presque si l’on tient Boston Public pour son chef-d’œuvre) frappe justement par ses airs d’espace de rencontre (pour les idées, les formes, les influences…) et, aussi, de révélateur d’émotions, d’accélérateur d’affects. Dans Ally McBeal, tout déborde, personne ne se tient bien. Aveux, hoquets, hallucinations, hurlements, chutes soudaines et scènes burlesques à la sortie des toilettes unisexes sont la règle, comme le brouillage des frontières entre les espaces public et privé, l’intime et le professionnel, les affaires traitées – cela reste une série judiciaire – et les love affairs vécues ou fantasmées qui se répondent et se complètent.
Quand la parole se libère, c’est la foire aux lapsus pour cette communauté de freaks bien coiffés, de monstres d’égocentrisme qui projettent leurs obsessions partout, de grands petits garçons et de grandes gamines grimés en yuppies pour faire comme si. Il y a du musical dans Ally McBeal, et aussi du cartoon, de la rom-com débridée, mais il pourrait aussi bien y avoir du porno – ça ne tient pas en place, jamais. Et puis, au printemps 2002, l’avocate sans âge fixe s’en est allée, après plusieurs tentatives de relance (renouvellements d’effectif, compassion 11 septembre, Ally maman…) un peu ratées. Et aujourd’hui, où es-tu, Ally? Un peu dans la godicherie so cute de New Girl, peut-être. Et puis dans le sentimentalisme obsessionnel et les dérapages collectifs weirdo de Grey’s Anatomy. Sans doute ailleurs, aussi. Elle n’est jamais bien loin, Ally.
(Paru dans Les Inrockuptibles, hors-série « 120 séries indispensables », mars 2014)
Ally McBeal (1997-2002), série créée par David E. Kelley