Lorsqu’on a pour la première fois entendu parler de Donkey Kong Jungle Beat, on a cru au canular. Ou à la tentative laborieuse de retrouver une utilité aux bongos vendus à l’origine avec le jeu Donkey Konga. Autant, pour ce dernier, qui nous invitait à accompagner diverses musiques en martelant lesdits tambours, l’intérêt de l’accessoire ne souffrait nulle contestation, autant, pour un jeu de plateformes comme Jungle Beat, l’idée suscitait la perplexité. Laquelle n’est déjà plus qu’un lointain souvenir devant les premières cavalcades du gorille Nintendo au rythme de nos coups malhabiles sur ces chouettes bongos.
Bien que déstabilisante pour les habitués de la manette, la prise en main est simple : des coups lents sur le tambour de droite ou de gauche pour marcher (et occasionnellement pour frapper) dans la direction choisie, des coups plus rapprochés pour courir, les deux tambours à la fois pour sauter et un claquement de mains pour se frapper la poitrine ou tendre le bras. Le principe s’inscrit dans une tendance lourde de l’industrie du jeu vidéo qui, de la caméra Eye Toy au karaoké Singstar en passant par les tapis de danse, multiplie les accessoires susceptibles de rendre les jeux plus intuitifs et, du même coup, d’attirer un public plus large. Mais Jungle Beat se distingue sur un point essentiel : plutôt que d’inventer un genre vidéoludique original, ses créateurs ont repris l’un des plus classiques, le jeu de plateformes en deux dimensions, qu’ils éclairent sous un nouveau jour.
Pour le joueur, les premiers pas sont un régal. Les automatismes nés de la pratique de jeux aux interfaces souvent similaires sont abandonnés au profit d’une redécouverte des joies simples de l’interactivité, du plaisir oublié de voir ses gestes se traduire immédiatement à l’écran et influer sur l’univers luxuriant (jungle broussailleuse, montagne enneigée, fleuve profond…) conçu par le game designer Yoshiaki Koizumi (qui fut aussi l’un des créateurs de Super Mario Sunshine). Ce qui, mine de rien et grâce au surplus d’activité physique que demande Jungle Beat, revient à redonner explicitement une place centrale à l’une des composantes essentielles du jeu vidéo : la mise en relation de deux espaces, celui où évolue le corps du joueur et celui où ses actions sont réinterprétées pour s’intégrer dans une mise en scène. Au lieu de viser l’oubli de soi et la projection dans le monde du jeu, Jungle Beat s’emploie à rappeler sans cesse que ce qui vit sur l’écran est le fruit d’une métamorphose de la performance (sportive ou artistique) que réalise le joueur. Par son principe, Jungle Beat semblait postuler au titre de jeu le plus crétin du moment. Et si c’était en fait, non seulement le plus enivrant, mais aussi le plus intelligent ?
(Paru dans Les Inrockuptibles n°482, 23 février 2005)
Donkey Kong Jungle Beat (Nintendo), sur GameCube