A 56 ans, Warren Spector est une légende vivante du jeu vidéo. Après avoir œuvré avec Richard Garriott sur la saga Ultima, cet ex-auteur américain de jeux de rôle « papier » a mis en application dans Deus Ex (dont une suite, conçue sans lui, est sortie en 2011) sa grande idée : les choix du joueur sont important et le jeu doit en tenir compte. En 2010, il a fait ressurgir du néant le premier personnage star de Walt Disney, Oswald le lapin chanceux, dans Epic Mickey, dont la suite sera l’un des événements ludiques de la fin d’année.
Quel était votre but avec ce deuxième jeu Mickey ? Tenter autre chose ou améliorer le premier ?
Les deux. La première fois, vous créez un monde, des personnages, des mécaniques de jeu. On s’est en plutôt bien tirés, mais on peut toujours faire mieux. Avant même qu’on commence le premier jeu, je savais que, si on en faisait un deuxième, il pourrait se jouer à deux et que nous y introduirions de la musique et des chansons. Si celui-ci marche, j’ai déjà une assez bonne idée de ce qui se passera dans le troisième.
Le jeu en coopération est partout, des jeux de tir à Rayman ou Mario. En quoi vous plaît-il ?
Personne n’a encore fait un jeu en coopération qui me fasse retrouver les sensations que j’ai eues en jouant à Donjons et Dragons pour la première fois. Ça a changé ma vie, alors que je me destinais à enseigner l’histoire du cinéma. Me voilà avec quatre ou cinq de mes amis et nous racontons une histoire ensemble. Pas celle d’un auteur : la nôtre. Aucun jeu vidéo ne m’a encore fait ressentir ça. Certains s’en sont approchés, des MMO [jeux multijoueurs en ligne] et, étrangement, certains jeux Lego. Je ne dis pas que nous y sommes parvenus avec Epic Mickey 2, mais c’est une étape. Et j’ai l’intention de continuer jusqu’à ce que je sois obligé de reconnaître mon échec ou que je retrouve ce sentiment.
Comment avez-vous intégré les chansons ?
J’ai beaucoup d’idées sur la manière dont on pourrait les utiliser comme mécaniques de jeu. Pour le moment, elles ne sont pas interactives. Si vous faites un jeu qui célèbre l’histoire de Disney, il faut des chansons. Pensez à Blanche Neige, au Roi Lion, à Mary Poppins et essayez de les imaginer sans. Ça ne marche pas. C’est un test : OK, les gamers, allez-vous accepter ça ? Si ça se passe bien, peut-être que, l’année prochaine, on parlera de quelque chose de vraiment stupéfiant.
La question des choix du joueur et de leurs conséquences est de plus en plus présente dans les jeux.
Quand j’ai fait Deus Ex, l’une de mes motivations était de faire honte aux autres développeurs. Lorsque, en 1989, j’ai commencé à travailler avec Richard Garriott, nous étions obsédés par l’idée de donner du pouvoir au joueur. Chez Looking Glass [où il a produit System Shock], nous nous demandions pourquoi tout le monde ne faisait pas ça. Et soudain, c’est le cas. Knights of the Old Republic est sorti, Peter Molyneux a fait Fable, il y a eu Mass Effect… C’est formidable : c’est ce que les jeux devraient être. Ils ne peuvent pas se limiter à tirer sur des trucs et résoudre des énigmes.
Avez-vous essayé le dernier Deus Ex, Human Revolution ?
C’est l’un des deux jeux que j’ai terminés l’année dernière. Je l’ai beaucoup aimé. Il y a des choses que je n’aurais pas faites mais j’ai eu ce même sentiment d’apprendre quelque chose sur moi et sur le monde en jouant qu’avec le premier Deus Ex. Ils ont pris d’autres décisions de design pour atteindre le même but.
L’an dernier, vous avez écrit une BD Duck Tales…
Je me suis plus amusé en l’écrivant qu’en faisant quoi que ce soit d’autre depuis des années, mais c’était bien plus difficile que ce à quoi je m’attendais. J’ai publié un roman il y a des années, j’ai fait pas mal de jeux, je crois ne pas être trop mauvais pour raconter des histoires, mais je n’avais jamais écrit de BD. Le développement de jeux est devenu très lourd : des centaines de personnes ont travaillé sur Epic Mickey 2. Là, c’était juste moi devant mon ordinateur. J’étais tellement plus proche du lecteur que pour un jeu vidéo… Je promets de faire mieux la prochaine fois.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°872, 15 août 2012)
Epic Mickey 2 (Junction Point Studios / Disney), sur Wii, Wii U, Ps3, Vita, Xbox 360 et PC