Il y a encore trois ou quatre ans, on pouvait penser l’heure de gloire du jeu de combat définitivement passée. Il n’avait bien sûr pas totalement disparu et ses fans hardcore continuaient de se défier frénétiquement dans les salles d’arcade encore ouvertes, mais les nouveautés se faisaient rares et le genre n’était plus que l’ombre de ce qu’il fut dans les années 1990, au temps de la féroce rivalité entre Street Fighter II et Mortal Kombat, de l’émergence de Tekken, des innovations de Virtua Fighter. Puis, un beau jour de 2009, Street Fighter IV a débarqué sur les consoles HD, relançant la machine en surfant sur la vague du jeu en ligne. Aujourd’hui, c’est l’avalanche. En comptant les portages et remakes augmentés, pas moins de cinq représentants de l’école japonaise du genre viennent de paraître en à peine plus d’un mois.
Premier sur la ligne de départ, Soul Calibur V est révélateur du changement d’époque. Après avoir offert plusieurs suites un rien flemmardes à son excellent jeu de combat à l’arme blanche de 1998, Namco Bandai en a cette fois, comme aiguillé par la concurrence déchaînée, sérieusement repensé le gameplay. Historiquement accessible même aux plus dilettantes des épéistes de salon, Soul Calibur y gagne une rigueur ludique inattendue. On ne rigole plus : cette fois, il va vraiment falloir s’entraîner. Mais on garde le sourire grâce à la beauté plastique du résultat. Si tout nouveau jeu de baston s’apparente à une discipline sportive en attente de pratiquants, c’est aussi bien souvent, que l’on prenne ou non la manette, un spectacle fascinant. Et, avec ses couleurs éclatantes et les incroyables arabesques de ses combattants, Soul Calibur V ne déçoit pas sur ce plan là.
L’éditeur japonais n’en oublie pas pour autant son autre série phare, Tekken, dont les héros s’affrontent à mains nues. Son registre est outrageusement fantaisiste – parmi les concurrents : un kangourou et un homme-léopard – et ses arènes ne refusent personne. Car, oui, il est ici à peu près possible de s’en sortir en martelant les touches de la console plus ou moins au hasard. Mais Tekken se distingue aussi par l’attention que ses créateurs portent à la présence physique des personnages. Ce ne sont pas de simples silhouettes mais des corps, pesants et qui ne demandent pourtant qu’à décoller. On regrettera juste le contenu un peu léger, pour les joueurs solitaires, de sa déclinaison 3DS, où les classiques modes « arcade » et « histoire » manquent curieusement à l’appel.
Le retour du genre s’accompagne de celui de l’une de ses grandes traditions : le cross-over. Qui est la plus forte de Chun-Li, star de Street Fighter, et de Ling Xiaoyu, sa quasi-jumelle de Tekken ? Il y a une grosse décennie, les stars de Capcom et celles de l’éditeur SNK (The King of Fighters) s’affrontèrent dans plusieurs jeux. Le nouveau duel au sommet a pour titre Street Fighter X Tekken et voit les héros de la saga Namco venir défier sur leur terrain Chun-Li, Ryu et leurs amis – en attendant le match retour Tekken X Street Fighter, d’ores et déjà annoncé. Sur leur terrain, c’est-à-dire en se coulant dans leur style graphique (un mélange 2D-3D très BD) autant que ludique. L’exercice n’allait pas de soi, Street Fighter ayant toujours été nettement plus technique que son rival, mais se révèle tout à fait réjouissant. Parce que son gameplay a visiblement fait l’objet de savants réglages mais aussi, plus profondément, parce qu’il fait figure de joyeux monument à la gloire de tout ce qui constitue la culture métissée du jeu de combat : son art du cliché enluminé, de l’aberration athlétique contrôlée, des mises en scène ritualisées (voir en particulier les monologues bravaches des personnages qui font potentiellement écho à ceux des joueurs). Fraîchement adapté sur PS Vita, Ultimate Marvel vs Capcom 3 évolue avec grâce dans les mêmes eaux scintillantes avec, cette fois, Hulk, Spider-Man et Captain America pour défier la famille Capcom élargie (avec les vedettes de Dead Rising, Phoenix Wright, Okami…). Il a en plus le mérite d’être le représentant du genre le plus facile d’accès du moment.
Et puis il y a BlazBlue, chef-d’œuvre des artisans virtuoses d’Arc System Works à qui l’on doit aussi Guilty Gear. La précision est la règle – dans ses graphismes manga en 2D, dans son gameplay à la fois pédagogique et exigeant. C’est une œuvre de francs-tireurs, délicate mais gratifiante. Et une preuve supplémentaire que le jeu de combat, que l’on croyait moribond, est bien être en train de vivre un nouvel âge d’or.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°851, 21 mars 2012)
Soul Calibur V (Bandai Namco), sur PS3 et Xbox 360
Tekken 3D Prime Edition (Bandai Namco), sur 3DS
Street Fighter X Tekken (Capcom), sur PS3, Xbox 360, Vita et PC
Ultimate Marvel vs Capcom 3 (Capcom), sur PS3, Xbox 360 et Vita
BlazBlue Continuum Shift Extend (Arc System Works), sur Vita