Réalisé par John Ford en 1950, Rio Grande commence dans un fort de la cavalerie américaine proche de la frontière avec le Mexique, qui accueille de nouvelles recrues. Dès le départ, la cavalerie est montrée comme une communauté à part, avec ses règles et son mode de vie particulier entre discipline militaire et ambiance bon enfant, presque familiale. Le fort est un lieu clôt destiné à protéger les soldats du monde extérieur (les Indiens) mais qui conduit aussi à les isoler pour en faire une société quasi autonome.
La fiction naît de l’arrivée de personnages qui représentent d’autres façons de voir la communauté, extérieurs au monde que constitue la cavalerie tout en lui étant irrémédiablement liés. C’est un délégué du shérif venu arrêter un nouvel engagé dans la cavalerie accusé d’avoir tué un homme. Mais c’est surtout l’arrivée du fils (parmi les recrues) puis de la femme d’un officier qui, en plus, amène avec elle la vieille fracture entre nordistes et sudistes (pendant la guerre, son mari était dans le camp adverse et a fait incendier sa plantation).
Ainsi apparaissent plusieurs groupes humains (la famille, la société civile, le monde militaire, les sudistes et les nordistes) qui se recoupent en partie sans jamais réellement coïncider et qui induisent des logiques de comportement (donc des rôles à tenir) différents. Le tout est encore compliqué par un rapport problématique au passé (vie conjugale et guerre de Sécession) concentré dans le personnage du colonel Yorke (John Wayne) qui, d’être trop partagé, en devient un homme seul. Tout l’enjeu est alors d’aboutir à un accord, à une réunion entre ces individus et ces groupes non réconciliés, qui ne pourra se faire que par la confrontation avec une autre altérité, avec un ennemi commun qui, dans le western, prend naturellement la forme des Indiens. C’est d’un passage à l’action et d’un abandon momentané du fort au profit des grands espaces que Ford fait naître cet accord, pour finir ce western classique sur la vision d’une communauté enfin unifiée.
(Paru dans Libération du 22 mai 1997)
Rio Grande (1950) de John Ford