Providence : « sage gouvernement de Dieu sur la création », nous dit le dictionnaire. Dans le film du même nom tourné par Alain Resnais en 1977, Dieu est un écrivain qui, la nuit précédant son soixante-dix huitième anniversaire, élabore, entre une gorgée de whisky et un verre de vin blanc, une nouvelle « création », roman en cours ou délire alcoolisé, dont les principaux protagonistes sont ses deux fils dont l’un, marié, est pourvu d’une maîtresse qui est en même temps sa mère, pourtant suicidée des années auparavant.
Au cours de la première partie du film, Resnais alterne les plans de l’écrivain et ceux mettant en scène sa « création » de démiurge dément, séquences habitées par la voix du vieil homme qui commente, dirige et voit parfois lui échapper les actions de ses personnages. On peut y lire une réflexion sur la création littéraire mais, pour le spectateur de ce film à tiroirs où le dérisoire et le tragique marchent main dans la main, Providence est aussi un jeu brillant qui voit Resnais ouvrir des failles surréalistes dans son propre récit, comme avec ce footballeur en short qui déboule régulièrement dans le champ.
La deuxième partie se déroule au matin, lorsque les protagonistes « réels » se retrouvent pour célébrer l’anniversaire du patriarche. Et là, c’est comme un nouveau film qui commence, mais dont les personnages arrivent chargés d’une histoire qui, pour n’être pas tout à fait la leur, ne leur est pourtant pas totalement étrangère. Pour le spectateur, la sensation se rapproche alors de celle éprouvée lorsque, ayant rêvé de quelqu’un pendant la nuit, on le revoit au matin, peinant à distinguer les souvenirs du rêve de ceux du passé réellement vécu.
Film mental, Providence est un jalon important de l’œuvre de Resnais. Si la nature fuyante du récit évoque L’Année dernière à Marienbad, tourné seize ans plus tôt, les scènes où l’écrivain oriente son rêve sans le maîtriser peuvent aussi se voir comme une ébauche de ce que Resnais systématisera seize ans plus tard dans le diptyque Smoking-No Smoking.
(Paru dans Libération du 14 avril 1997)
Providence (1977) d’Alain Resnais