Mimi

Mimi

Soyons franc : c’est avec une certaine réticence que l’on est allé voir Mimi, peu convaincu par le film précédent de Claire Simon, 800 km de différence, où, filmant les relations émues entre sa fille et un garçon a priori bien loin d’elle, la cinéaste semblait chercher en vain la juste place d’où regarder ces amours adolescentes. Mais cette fois, cette place, Claire Simon la trouve d’emblée face à (ou sur les pas de) son amie Mimi, personnage et actrice principale de son film, celle qui, seule, est porteuse du récit avant même le premier plan et qui va lui donner forme peu à peu, presque comme par inadvertance, un mot en entraînant un autre, le retour dans un lieu faisant revenir des souvenirs. Sur un principe proche – faire un film de l’histoire de celle que l’on regarde –, autant 800 km de différence souffrait d’une terrible inégalité de pouvoir entre celle qui filmait (à la limite de la surveillance parentale) et celle qui était filmée, autant, dans Mimi, les choses sont moins claires. Parfois, l’égalité est parfaite, les deux femmes avancent ensemble. Et puis, un peu plus tard, Claire Simon semble en retard, mais sans en souffrir, partageant volontiers la mise en scène avec Mimi, femme-film qui est autant qu’elle la « réalisatrice » du documentaire qui porte désormais son nom.

On ne dévoilera ici que peu de détails sur l’histoire de Mimi, qu’il vaut mieux voir prendre forme en écoutant ses mots, sa voix, en observant son visage, sa démarche. Toujours peut-on dire qu’il y est question des souffrances de la famille pendant l’Occupation, du père et d’un âne, d’un frère, de Nice, de la vie d’ouvrière, des premiers émois amoureux, d’un Monoprix, de la quête d’un lieu où vivre, de l’aventure d’une installation à la campagne, d’un voisin. De ceci aussi : Mimi aime les femmes. Cette découverte fut pour elle, adolescente, un bouleversement, mais, dans le film, ce n’est ni le sujet premier ni une révélation appuyée, et encore moins un aveu. C’est, si l’on veut, une direction, une manière d’aiguillage qui entraîne la vie de Mimi et (dans une moindre mesure) le film sur une autre voie. On ne s’étonnera pas que l’une des scènes les plus fortes du film soit, près d’une gare où Mimi se souvient des bruits des trains de son enfance (Mimi est d’abord un film qui s’écoute), la rencontre avec un inoubliable amateur de trains, qui les enregistre, les regarde, les aime, se souvient.

Tout cela, Claire Simon le filme comme un peu « à côté », évitant autant la redondance (montrer bêtement ce dont Mimi parle) que le démonstratif (l’étude d’un cas et/ou l’illustration d’un discours préalable). Tout se passe comme si le film naissait en direct, comme s’il relevait moins de l’inscription d’une histoire dans une forme préétablie que de la recherche libre de cette forme alors même que les syllabes deviennent mots, que les mots deviennent phrases, qu’un corps accouche doucement, sans forcer, d’un récit. Claire Simon ne ressent pas la nécessité d’explorer en détail les lieux qu’elle visite avec Mimi, laquelle prend alors son temps pour dire ce qui s’y est passé, ce qu’elle y a ressenti. Un cadre suffit, un plan-vestibule (la porte d’un monastère, un endroit bien précis de la ville), presque à plat, auquel la parole de Mimi donnera de la profondeur. Parfois, elle semble même filmer autre chose, s’attarder sur un détail qui n’a que peu à voir avec l’histoire. Et puis elle revient sur Mimi, le film de Claire rejoint celui de Mimi. Car il y a deux films, au fond, l’un que l’on ne verra jamais – la vie de Mimi, la fiction-reconstitution que Claire Simon a renoncé à tourner –, l’autre qui est moins sa recherche qu’une forme libre et mouvante destinée à faire affleurer le premier.

Bien sûr, il arrive que Claire Simon pose des questions. Mais c’est rare : nul besoin d’insister, et pas davantage de les couper au montage. Le film s’identifie à une ascension à deux, comme encordées mais sur une pente douce, sûres d’arriver là où elles doivent arriver. Toujours, la collaboration singulière prend le pas sur l’étude exemplaire et le goût de l’épisode subjectivement relaté (c’est-à-dire réinterprété) sur la quête du vrai incontestable. Il y a des ralentissements (des faux plats) et des bonds en avant, des embardées subites et des pauses rafraîchissements. D’une certaine façon, l’ennui parfois ressenti est une condition de la réussite du film. Car ce n’est jamais un ennui désagréable, oppressant, mais la promesse qu’au bout d’un prochain tournant, ce que l’on verra nous récompensera largement. L’une est presque absente, tout occupée à écouter avec ses yeux. L’autre avance à son rythme en parlant. A deux, Claire Simon et Mimi ont donné naissance à un bien joli film.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°578, avril 2003)


Mimi (2002) de Claire Simon

 

Erwan Higuinen

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