C’est l’histoire d’un homme qui a laissé sa légende en plan. Père de la saga Final Fantasy, Hironobu Sakaguchi fait partie des quelques créateurs sans qui le jeu vidéo ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. En 1987, en donnant naissance, avec une poignée de complices, au premier épisode de la série de jeux de rôle, Sakaguchi tentait un dernier pari : en cas d’échec, il était bien décidé à passer à autre chose. Mais le succès fut immense et, même sans lui, ne se dément pas un quart de siècle plus tard. Puis, séduit par les progrès de l’imagerie de synthèse, il eut des envies de cinéma. Ce fut Final Fantasy : Les Créatures de l’esprit (2001), un film à très gros budget plastiquement ahurissant. Un four au box-office mondial qui mit en péril l’avenir de l’éditeur Square.
Aujourd’hui, Hironobu Sakaguchi, 49 ans, conçoit toujours des jeux. Et, avec son propre studio, Mistwalker, reste fidèle à son genre de prédilection, le JRPG (Japanese Role Playing Game), dont relève sa dernière production, The Last Story, sorte de conte médiéval facétieux, modeste et doux mais follement dynamique et débordant de bonnes idées. Un jeu qui ressemble à son jovial créateur à moustaches qui s’est découvert une nouvelle passion. « Quand j’étais vice-président de Square, j’avais des obligations de résultats, c’est normal, se souvient Sakaguchi. J’ai arrêté il y a neuf ans pour fonder Mistwalker mais, il y a sept ans, je me suis surtout mis au surf. Ça peut paraître bizarre, mais ça m’a beaucoup appris. Certains surfeurs sont prêts à prendre n’importe quelle vague et, finalement, ne montent sur aucune. Pour être un bon surfeur, ce qu’il faut, c’est attendre la bonne vague. C’est devenu ma philosophie. »
S’il passe encore la moitié de son temps à Tokyo, où sont établis les studios avec lesquels sa petite société a développé le joyeux Blue Dragon aux personnages dessinés par le mangaka star Akira Toriyama (Dragon Ball), le sombre Lost Odyssey (avec la participation de l’écrivain Kiyoshi Shigematsu) ou, donc, The Last Story, Sakaguchi a établi ses quartiers loin du cœur de l’industrie vidéoludique nippone : à Hawaii. Mais n’en garde pas moins un regard acéré sur la vie de son pays. Il n’y a d’ailleurs pas besoin de le pousser beaucoup pour l’entendre dresser un parallèle avec ce que raconte son dernier jeu. « Les personnages sont des mercenaires qui rêvent de devenir chevaliers, souligne-t-il. Mais, peu à peu, ils se rendent compte que leur but est vain. Ils en viennent à se demander si, en vivant de façon plus cool, ils n’arriveraient pas mieux à surmonter à les difficultés. Et à se dire qu’ils ne seraient pas plus malheureux, même sans atteindre le but escompté. Ça correspond pas mal à l’état d’esprit actuel des jeunes Japonais. Après les catastrophes de l’année dernière, il y a une remise en cause de notre style de vie. Les gens perdent la motivation et j’ai envie de leur dire : faites comme les héros de The Last Story, vivez selon vos envies et arrêtez de poursuivre des objectifs inutiles. Quand vous mourrez, il ne restera rien. »
Ne pas en déduire pour autant que le dernier Sakaguchi serait un pur jeu à message. C’est même tout le contraire et, d’ailleurs, l’histoire n’a absolument pas été à l’origine du projet. « A leur sortie en Occident, Blue Dragon et Lost Odyssey ont été considérés comme des JRPG un peu trop classiques, avec leurs systèmes de combat au tour par tour, précise-t-il. Pour moi, ça a été une grosse remise en cause. Je me suis demandé ce qu’on pouvait faire de neuf pour relancer ce genre un peu vieillissant. » Le résultat est une aventure resserrée, qui va droit au but sans imposer au joueur de longues heures de batailles pour muscler ses personnages (« C’est comme si on voyageait dans une voiture turbo : on arrive assez vite mais, au moins, pendant le voyage, on a pris son pied ») et mise sur l’action en puisant son inspiration à des endroits inattendus (Gears of War, Assassin’s Creed).
En ce moment, le studio Mistwalker a trois jeux en chantier destinés à l’iPhone. Aux dernières nouvelles, l’un d’eux serait consacré à un certain sport de bord de mer. « J’ai eu envie de revenir aux sources. Pour le premier Final Fantasy, on était quatre plus un programmeur. Là, on développe nos trois jeux à dix. Je retrouve les mêmes sensations, les mêmes plaisirs simples », explique Sakaguchi. Qui n’exclut pourtant nullement un retour aux jeux à gros budget ou au cinéma. « Je suis incapable de savoir ce que je vais faire dans dix ans. Je vais juste attendre, patiemment, qu’une nouvelle vague m’inspire. »
(Paru dans Les Inrockuptibles n°848, 29 février 2012)
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