Far Cry 3 : Entretien avec Dan Hay, producteur

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Qu’est-ce que vous a amenés à situer ce nouvel épisode sur une île tropicale comme le tout premier Far Cry ?

Ce n’était pas planifié. Au cours d’une session de design, nous discutions des éléments que nous voulions intégrer : des quads qui foncent sur la plage, des montagnes à escalader, des sauts dans les cénotes, ces trous d’eau profonds. Et quelqu’un dans le fond de la salle a fini par nous dire : « Les gars, ça, c’est une île. »

Pour la créer, vous êtes-vous inspirés d’autres jeux, de films, de séries ?

Beaucoup de gens nous parlent de Lost. Nous avons effectivement regardé énormément de films, mais surtout en fonction des émotions que nous voulions faire partager : Apocalypse Now, Voyage au bout de l’enfer, Délivrance. Un livre comme La Route de Cormac McCarthy, qui est très sombre mais avec un peu d’espoir à la fin, a également été important. Nous voulions que l’île soit belle, luxuriante, exotique, mais aussi mortelle. Qu’en voir une seule image suffise à vous donner envie d’y aller mais que, dès votre arrivée, les ennuis commencent. C’est un peu comme Alice au pays des merveilles. Ou Le Magicien d’Oz : Dorothy quitte le Kansas, traverse cet endroit fantastique avec des personnages incroyables, mais pense à rentrer chez elle et réalise qu’il faut un peu se détacher de ce que l’on a pour en saisir la valeur.

Quelles sensations espérez-vous provoquer chez le joueur ? Certains FPS procurent un sentiment de puissance, d’autres donnent l’impression d’être partie prenante d’une grande histoire…

J’évoquerai moins une émotion en particulier qu’une période de la vie. Quand vous êtes jeune et que vous décidez de quitter la maison de vos parents, vous vous dites parfois qu’ils ne vous comprennent pas, que personne ne vous écoute et que le monde est un endroit merveilleux, que vous allez sortir et montrer ce que vous valez. Et vos amis chuchotent à votre oreille : « Allons-y ! Allons prendre du bon temps ! » Vous êtes sûr qu’ils vont rester vos meilleurs amis pour toujours. Et puis, cinq, six ou dix ans plus tard, vous regardez en arrière et vous réalisez que vos parents en savaient peut-être plus que vous ne pensiez et que ces « amis » n’étaient pas forcément les personnes que vous croyiez. Vous avez appris. C’est la différence entre le savoir et l’expérience. J’aimerais que le joueur ressente toute une vie d’émotions : l’amour, la perte, le sentiment d’être une victime, d’être puissant et d’aimer ça. De grandir.

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Y a-t-il des points de Far Cry 2 que vous teniez particulièrement à améliorer ?

Far Cry 2 faisait certaines choses vraiment très bien. Les joueurs ont aimé son monde ouvert très vaste, le combat, la possibilité d’explorer. Mais nous avons écouté ce qu’ils disaient et la première chose dont je me souviens, c’est : « S’il vous plaît, débarrassez-nous de la malaria ! » C’est ce que nous avons fait, le héros n’est plus malade. La deuxième, c’est que quand les gens utilisaient une arme, ils n’aimaient pas qu’elle se dégrade et finisse par tomber en morceaux. Nous avons aussi mis en place des avant-postes à conquérir pour résoudre deux problèmes à la fois. D’abord, quand vous en prenez un, il reste à vous, les ennemis ne vont pas réapparaître. Ensuite, ces lieux vous donnent accès à un système de voyage rapide pour passer d’un point à un autre de la carte. Si vous êtes un joueur qui veut enchaîner les missions, nous voulions pouvoir vous le permettre. Mais je suis persuadé que vous allez vouloir explorer ce monde. Nous avons bien observé les gens. Ils arrivent, s’installent, vous expliquent qu’ils vont juste faire les missions et, quatre heures plus tard, on les retrouve à l’autre bout de l’île en train de chasser des dragons de komodo.

Certains détails du jeu, comme le fait de devoir escalader des tours pour qu’apparaisse la carte d’une zone, rappellent Assassin’s Creed.

Il y a effectivement des hommages à certains autres jeux Ubi. Deux éléments nous ont beaucoup aidé pour créer un jeu comme celui-là. D’abord, à Ubisoft Montréal, il y avait toute une réserve de gens ayant travaillé sur Assassin’s Creed, sur Splinter Cell ou sur d’autres titres et qui pouvaient venir nous aider sur un point précis. Et vice versa : c’est de la pollinisation croisée. Le deuxième point, c’est une manière un peu différente de faire les choses. « Fais-moi rêver » : voilà comment débutaient les conversations vraiment intéressantes que nous avons eues. Quand vous vous laissez gagner par l’idée que vous pouvez faire rêver le joueur à travers les hallucinations, le jeu avec l’I.A., la découverte du monde ouvert, vous entrez vraiment en connexion avec ses émotions.

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Comment les tâches ont-elles été réparties entre Ubisoft Montréal et le studio Massive Entertainement ?

La partie solo a été conçue presque intégralement à Montréal, avec juste l’aide du studio de Shanghai pour certains éléments. Quant au multijoueur, aussi bien la coopération que le « Player versus player », qui se déroulent chacun sur une île différente, ils ont été développés en Suède chez Massive. Nous voulions être sûrs de pouvoir offrir de la co-op sans que cela n’affecte la valeur de l’expérience solo.

Dans les jeux au récit et à l’expérience solo très forte, il arrive que le multi et la co-op ne s’intègrent pas très bien, qu’ils ressemblent à des pièces rapportées.

Nous avons beaucoup discuté avec Massive. Ils sont venus à Montréal, nous sommes allés chez eux, on a échangé nos idées. Le point central, c’est que nous voyons l’île, ou l’archipel puisqu’il n’y en a pas qu’une, comme un personnage à part entière, et cela fonctionne en solo comme en co-op ou en PvP. En co-op, vous avez quatre personnages qui ont chacun son histoire, sa raison d’être là, qui travaillent ensemble mais ne se font pas entièrement confiance et se retrouvent parfois en concurrence. En PvP, vous arrivez sur une île où les pirates et les Rakyat sont en guerre et vous décidez quel camp vous allez rejoindre. Comme leurs chefs sont frère et sœur, c’est aussi un conflit familial. Nous avons essayé de créer une ligne cohérente entre les différents modes.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le travail qu’avait réalisé Crytek sur le premier Far Cry ?

Je me souviens très clairement de ma première partie de Far Cry 1 et du tour de force technique que c’était. Je me souviens d’être descendu du bateau, d’être tombé dans l’eau et de m’être dit que ça avait l’air incroyable. Il y avait une immense distance d’affichage, c’était un monde à couper le souffle. Lorsque nous avons décidé de retourner sur une île, nous avons repensé à ce sentiment. Et nous avons voulu ajouter une nouvelle personnalité, tout un peuple indigène, une histoire… Emmener Far Cry dans une direction différente, nous concentrer sur les émotions du joueur et offrir une expérience à laquelle je ne pense pas que les gens s’attendent. Nous voulons qu’elle soit profondément personnelle. Ces moments sont à vous.

(Paru dans IG n°23, décembre 2012-janvier 2013)

Far Cry 3 (Ubisoft), sur PS3, Xbox 360 et PC

Erwan Higuinen

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