Au fil du câble : Mann, Corman, Dwan, Arnold

Desperate

Desperate (1947) et La Rue de la mort (Side Street, 1950) d’Anthony Mann, sur CinéClassics.

Peu avant sa rencontre avec James Stewart, qu’il dirigera huit fois et en particulier dans cinq des plus grands westerns de tous les temps, Anthony Mann tourne deux beaux films noirs jumeaux. Dans chacun d’eux, un Américain ordinaire tente d’échapper à la pègre, entraîné dans une sale affaire pour avoir voulu améliorer sa condition. La Rue de la mort est la version « sociale » de cette histoire, qui relate les conséquences d’un déraillement individuel (un vol) sur une mécanique collective. De fait, c’est aussi un film sur New York, sur son architecture, sur les interactions entre ses habitants. Il y a toujours quelqu’un, dans un couloir, à une fenêtre, au détour d’une rue, dont la présence suscite à la fois la peur et l’espoir. Desperate se passe davantage dans la tête de son personnage pris dans un engrenage infernal. Les événements y importent moins que l’angoisse de perdre encore un peu plus de ce que l’on croyait à l’origine insuffisant mais qui semble à présent si précieux. Au plafond du repaire des gangsters se balance une lampe, qui éclaire les visages pour aussitôt les renvoyer dans l’ombre. Brusquement apparue, c’est une épée de Damoclès, qui change sans répit le jour en nuit.

ThePit

Le Puits et le Pendule (The Pit and the Pendulum, 1961) et La Malédiction d’Arkham (The Haunted Palace, 1963) de Roger Corman, sur Cinéfaz.

En juillet, Cinéfaz diffuse six films d’horreur de Roger Corman inspirés des œuvres d’Edgar Poe et interprétés par un Vincent Price admirablement instable. Parmi ceux-ci, Le Puits et le Pendule (plus connu sous le titre La Chambre des tortures) et La Malédiction d’Arkham sont révélateurs de l’approche qui guide cette relecture du genre, contemporaine de celles de Terence Fisher et de Mario Bava. Dans les deux films s’imprime une scène primitive, une séance de torture meurtrière vue par un enfant pour l’un, le lynchage d’un sorcier pour l’autre. L’histoire des deux films sera celle de la marche, ralentie mais décidée, vers la répétition de ces actes, par le même acteur devenu un autre personnage, fils ou héritier du premier condamné à refaire ses gestes. Corman est le notaire qui règle la succession. Ici, la nécessité est moins narrative que plastique. Les lieux, décors et instruments (de torture) déterminent les rôles (changeants) de chacun dans ce qui se révèle la seule scène possible, issue obligée des modèles d’artisanat obsessionnel tardif que sont ces films.

TideOfEmpire

La Naissance d’un empire (Tide of Empire, 1929) d’Allan Dwan, le 26 juillet sur Arte.

Quelques mois après Le Masque de Fer, Arte nous offre un autre Dwan muet. En attendant un retour sur ses séries B des années 40-50 ? Pour l’heure, nous arrivons en Californie à la veille de la ruée vers l’or. Bientôt vont se heurter une riche et aimable famille originaire d’Espagne et une meute de yankees déchaînés. Alors se perd une innocence irréelle, évaporée entre le moment où une jeune fille pénètre dans la chambre de son père et celui où elle réalise qu’il n’est pas endormi mais mort. Cette scène est l’une des miniatures saisissantes qui se détachent de la fresque historique. L’espace se peuple bruyamment – que le film soit muet ne nous rend pas sourds –, la violence l’emporte. Dans le saloon, on décide de pendre tous les méchants. A cette justice expéditive, Dwan n’oppose pas de grands principes mais filme avec une vitalité attentive le sauvetage du frère de l’héroïne, celui des condamnés que l’on a vu vivre. C’est tout à fait significatif – et très beau.

GlobalAffair

L’Américaine et l’amour (Bachelor in Paradise, 1961) et Papa play-boy (A Global Affair, 1963) de Jack Arnold, sur CinéClassics.

Entre L’Homme qui rétrécit (1957) et L’Américaine et l’amour (1961), quatre ans se sont écoulés et tout a changé. Oubliés, les films fantastiques essentiels des années 50 (Tarantula, Le Météore de la nuit…) : Jack Arnold tourne à présent des véhicules souffreteux pour le terne Bob Hope. L’Américaine et l’amour et Papa play-boy laissent la même impression : celle qu’un jour, Arnold s’est absenté, laissant ses scripts boulevardiers se filmer tout seuls et sa star vieillissante s’extraire des intrigues radoteuses pour les commenter à coups de très mauvais bons mots. La première de ces comédies débute néanmoins sur des bases prometteuses : du pavillon moderne au supermarché, du bowling au stade de base-ball s’annonce une manière de film d’aventures pratiques dans l’Amérique des sixties naissantes, filmée comme un pays étranger. On n’en attendait pas moins de l’auteur de La Revanche de la créature. On aurait dû, pourtant, car le film s’enlise dans sa mesquinerie. Quant à Papa play-boy, s’il ne déçoit pas autant, ce n’est que parce qu’il ne promettait presque rien. A l’époque, Jack Arnold a déjà un pied à la télévision, qui a pris le dessus. Bientôt, il réalisera des épisodes de La croisière s’amuse, de Wonder Woman, de Super Jamie. C’est moins bien que Richard Quine, qui filma Columbo. Mais ça aurait pu être pire, non ?

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°570, rubrique « Au fil du câble »,  juillet-août 2002)

Erwan Higuinen

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