Fight Club (1999) de David Fincher, sur Cinéstar.
De nos jours, les films passent et repassent sans cesse. Etre abonné au câble, c’est un peu comme vivre dans une gare, avec l’assurance qu’un train raté finira toujours par s’offrir de nouveau. Tiens, revoilà Fight Club, chef-d’œuvre pour certains, horreur pour d’autres, ébauche d’un ciné-jeu vidéo à venir pour le gamer Christophe Gans. En voiture ! On va où ? Nulle part, en fait, car s’il est une chose étrangère à Fight Club, c’est bien le voyage. Ressassement monomaniaque, frustration même pas magnifiée, grisaille forcée, tel est le programme de ce film où les blagues potaches se déguisent en sédition anarcho-fascisante et la soumission résignée en volonté de puissance. Du début à la fin, l’uniformité crasseuse est là, le fantasme (de la société secrète, de l’héroïsme) se contentant de la réinterpréter. Quelque part entre Matrix et les films de Shyamalan, David Fincher habille son messianisme d’un discours ininterrompu. Avec un paradoxe : contrairement à ce qu’implique le récit, il n’y a pas ici de véritable expérience, seule importe l’énonciation. A la limite, Fight Club est le mode d’emploi d’autre chose, de Tokyo Fist (de Shinya Tsukamoto) ou d’un jeu vidéo encore à inventer. Cela dit, comme tous les films de David Fincher, Fight Club, ça se tient. Ça ne fait même que ça.
Chantage (Blackmail, 1929) d’Alfred Hitchcock, sur CinéClassics.
Quelques minutes après le début de Blackmail, un événement se produit : le cinéma d’Hitchcock prend la parole. Pour une grande déclaration ? Non, ses premières phrases sont une conversation banale entre deux hommes, une histoire de tailleur. Puis viennent les bruits d’ambiance : le son donne surtout du relief au décor. Bien qu’étant considéré comme le premier film britannique parlant, Blackmail fut d’abord tourné en muet et demeure une œuvre intermédiaire, avec des séquences sans parole (la première, notamment) et d’autres où celle-ci n’est qu’accessoire. Si le film joue de la séparation des espaces sonores (portes closes, éloignements), ce n’est jamais par les mots que bifurque l’intrigue. Une jeune fille a tué celui qui voulait la violer (au cours d’une belle scène de chasse stratégique en appartement). Son fiancé policier a tout compris. Ils s’enferment pour parler, dans une cabine téléphonique. Le son ne passera pas, mais ils ont oublié que tout se voit à travers une vitre. Pour Hitchcock, le passage au cinéma parlant est une rupture moins nette que d’autres (l’Amérique, la couleur, la télévision). Les cris silencieux résonnent longtemps.
Deep End (1970) de Jerzy Skolimowski, sur CinéClassics.
Depuis Ferdydurke, depuis dix ans, Skolimowski ne tourne plus. Ce mois-ci, deux de ses films refont heureusement surface à la télévision, qui ne pense pourtant pas souvent à lui. Si CinéCinéma programme Les Eaux printanières (étrangement rebaptisé Les Eaux de la nuit), c’est surtout Deep End, sur CinéClassics, qui s’impose en beauté. On y découvre un adolescent qui entre dans le monde en pénétrant dans la piscine où il vient d’être embauché comme garçon de bain. Un peu perdu, il ne sait pas bien quoi faire – des grosses femmes qui l’attirent contre leur poitrine opulente, de son désir naissant pour une collègue rouquine. Plus tard, il découvrira la ville, filmée comme un circuit fermé dans lequel c’est son obsession désormais triomphante qui dirige le mouvement. Du night-club à la boîte de strip, en repassant toujours par le stand de hot-dog. Ici, c’est d’abord l’impression de désinvolture qui frappe, qui n’est qu’une impression, chez le garçon comme dans la mise en scène de Skolimowski. Stylisation discrète, improvisation apparente et symboles détournés en problèmes pratiques sont la règle de Deep End, film à peine exemplaire, pop comme un lad anglais, surréellement ironique comme un Polonais, jamais là où on l’attend.
La Vie privée d’un tribun (Parnell, 1937) de John M. Stahl, sur TCM.
Dans Only Yesterday de John M. Stahl, une jeune célibataire tombée enceinte s’entendait expliquer que ce n’était pas une tragédie, pas même la matière pour un bon mélodrame, mais juste « des choses qui arrivent ». Chez Stahl, des choses arrivent, puis elles s’en vont, et on ne s’en remet pas. Pas d’emphase, mais une précision d’une sécheresse presque cruelle, un rien distante, et une façon unique de théoriser sans généraliser. La Vie privée d’un tribun se présente comme la biographie d’un nationaliste irlandais. Mais le film se concentre sur la liaison entre cet homme idolatré et la femme d’un arriviste politique qui la lui « offre ». Face au souffle court des amoureux, celui de l’histoire ne tient pas la distance. Sauf qu’à une autre échelle, c’est le contraire. A la nuit tombée, le brouillard isole Clark Gable et Myrna Loy dans la rue, leur offrant un abri soustrait à l’écoulement du temps social et historique, dont le souvenir hantera ce mélodrame jusqu’à la fin. A la fenêtre, la neige n’en finit pas de tomber.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°569, rubrique « Au fil du câble », juin 2002)