Yoji Kuri

YojiKuri

Dans le monde de l’animation japonaise, Yoji Kuri est un original. Artiste multicartes né en 1928, l’homme a d’abord été un dessinateur adepte de l’humour noir avant de se distinguer comme peintre, sculpteur et auteur de performances, collaborant notamment avec Yoko Ono. Mais Yoji Kuri fut aussi l’un des pionniers du cinéma d’animation indépendant au Japon, créant son propre studio, Kuri Jikken Manga Kobo, en 1961 et s’alliant à la même époque avec Ryohei Yanagihara et Hiroshi Manabe pour former l’iconoclaste et influent Groupe des Trois Animateurs (Animation Sannin No Kai).

Là où d’autres acceptent sans rechigner l’influence du dessin animé américain mainstream Yoji Kuri préfère quant à lui fuir les sentiers battus, s’appropriant les concepts surréalistes, s’inspirant des techniques de Norman MacLaren ou des visions de Jérôme Bosch et entretenant un parfait mauvais esprit qui lui donne parfois des allures de Roland Topor nippon.

Riche de plusieurs milliers de courts métrages où se mêlent audaces formelles et propos provocants, l’œuvre animée de Yoji Kuri est de celles qui ne laisseront jamais indifférent. Dans Le Zoo humain, Au fou ! ou The Man Next Door, films des années 1960 aux airs de miniatures aussi exubérantes qu’acérées, les gags sadiques contrastent avec l’évidence enfantine du trait. Accidents, meurtres, guerre des sexes : l’audacieux caricaturiste invente une sorte de pop art ironiquement sanglant en tortionnaire volontiers cynique de ses propres personnages. La société, le couple, les utopies, même les corps tremblent sur leurs bases, se craquellent, se vident et entrent dans la danse, emportés dans un cauchemar stylé mais cathartique. Inlassablement, Yoji Kuri gratte le vernis civilisé pour révéler la barbarie qu’il dissimule, et il en rit, et nous aussi. Primé dans divers festivals internationaux et exposé dans les galeries du monde entier, cet artiste affranchi de toutes les conventions se consacre désormais essentiellement à son œuvre picturale.

(Paru dans Manga Impact, Editions Phaidon, 2010)

Erwan Higuinen

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