Comme les précédents, le troisième volet de la saga Yakuza a tardé à faire le voyage jusqu’en Europe. Plus d’un an après sa parution au Japon (où l’épisode quatre est déjà disponible), la suite des aventures de Kazuma Kiryu s’offre enfin aux amateurs français de déambulations en terres nippones dont on espère qu’ils auront profité de l’attente pour travailler leur anglais, le jeu ne parlant que les langues de Shakespeare et de Takeshi Kitano. Ce n’est cependant que l’une des réserves suscitées par ce Yakuza 3 dont les partis pris ont de quoi diviser. Non qu’il marque une rupture radicale avec les deux premiers épisodes parus sur PlayStation 2 – le jeu ne profite d’ailleurs que dans une faible mesure de la puissance de calcul accrue de la PS3. Mais les aspects du système Yakuza qu’a choisi de développer son créateur Toshihiro Nagoshi (Super Monkey Ball, F-Zero GX) ont de quoi peiner les amoureux les plus fervents des épisodes précédents.
Comme nombre de gros titres concurrents, Yakuza 3 est une œuvre-patchwork qui propose au joueur une série d’activités auxquelles celui-ci s’adonnera avec plus ou moins de persévérance selon ses penchants personnels. Il peut ainsi être perçu aussi bien comme un jeu de rôles (à peu près) réaliste que comme une simulation d’arts martiaux scénarisée, comme un film de gangsters interactif que comme une incitation à la promenade le nez virtuel en l’air. Et ce n’est pas tout : dès les premières heures de jeu, on aura l’occasion de s’essayer à la pêche, au golf, au bowling et au karaoké entre deux virées dans une salle d’arcade en quête du meilleur score sur un sympathique jeu (de tir spatial) dans le jeu.
Ces mini-distraction étant dans l’ensemble plutôt réussies, on aurait toutes les raisons de se réjouir si Yakuza 3 ne se révélait pas curieusement déséquilibré. L’intrigue – une affaire de complot politico-mafieux – est incontestablement soignée, tout comme les séquences non interactives recyclant les codes du film de yakuzas (jusque dans leur cocktail de sentimentalisme et d’ultra-violence). Les phases de combat à mains nues ont quant à elles gagné en sophistication. De la solaire Okinawa (où se déroule la première partie du jeu) à la nuit tokyoïte que l’on retrouve plus tard, c’est pourtant la frustration qui domine à cause d’un certain nombre d’archaïsmes vidéoludiques dont les auteurs de Yakuza 3 n’ont pas jugé bon de se débarrasser. Des murs invisibles empêchent d’emprunter un petit chemin entre deux maisons. Même chose si l’on tente de marcher sur l’herbe. Et si l’on va jusqu’au bout de la rue ? Ecran noir, temps de chargement, nous voilà téléporté en ville. Où les portes de la plupart des immeubles et boutiques ne s’ouvrent pas : ces bâtiments si vrais ne sont que pur décor, qu’un vernis cosmétique derrière lequel il n’y a rien. Comme si l’accessoire (procurer des divertissements variés) avait pris le pas sur l’essentiel (faire exister un monde). La déception n’en est que plus profonde.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°751, 21 avril 2010)
Yakuza 3 (Sega), sur PS3