L’aventure possède bien des noms : Ulysse, Tintin, Indiana Jones… Au pays des jeux vidéo, elle se fait désormais appeler Nathan Drake, héros savamment décoiffé et honnêtement musclé de la merveilleuse saga Uncharted. Merveilleuse parce qu’elle trouve un équilibre parfait entre l’inspiration ludique et les nécessités commerciales, mais aussi parce que son récit et, plus profondément, le regard qu’elle invite le joueur à poser sur son monde obéissent à une seule logique : l’émerveillement. Jusqu’à y perdre la raison – le jeu ne s’intitule pas L’Illusion de Drake par hasard.
Une séquence tardive (le 18e des 22 chapitres, pour être précis) est significative. Nathan erre dans le désert, seul, perdu. Il titube, à bout de forces. Croit voir une oasis, entend des voix. Le joueur ne sait plus s’il est acteur ou spectateur, si ses actes ont encore une importance. D’ailleurs, il ne peut pas faire grand-chose, sinon avancer, chercher son chemin sous le soleil, sous les étoiles, les couleurs changent, le jeu se replie sur lui-même. A plusieurs reprises, nos possibilités d’action sont ainsi réduites et nos perceptions, troublées. Uncharted 3 nous retire un peu de nos pouvoirs (courir, grimper, tirer, cogner), et l’aventure se niche dans un espace imprévu : celui qui se trouve alors savamment créé entre la volonté (triompher des épreuves, être le plus riche, le plus beau, le plus fort) et le pouvoir réel du joueur.
Ne pas en déduire que ce troisième Uncharted, qui travaille ses motifs (la chute, le rapport entre le tout-petit et le très grand), tournerait le dos à l’épopée glorieuse. De fusillades sur un bateau qui tangue en courses éperdues dans les couloirs d’un château en feu, d’un ahurissant crash d’avion à une poursuite chevaux-camions, le cahier des charges spectaculaires est largement rempli, et les moments forts ne le sont pas qu’un peu. Mais il y a aussi des temps délibérément faibles, des instants d’impuissance, de fébrilité. Attentifs à la conversation qui se tient entre le cinéma et le jeu vidéo, les développeurs de Naughty Dog rebondissent moins sur les affirmations que sur les questions, s’arrêtant sur les états limites, les incertitude – est-ce moi qui mène la danse ou la fiction qui se joue de moi ? Il est un dernier point sur lequel on ne tranchera pas tout de suite. Mais Uncharted 3 est un candidat très sérieux au titre de jeu de l’année.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°835, 30 novembre 2011)
Uncharted 3 : L’Illusion de Drake (Naughty Dog / Sony), sur PS3 et PS4
Un commentaire