Un gros poussin d’un côté, un petit bonhomme à tête triangulaire de l’autre. La sortie simultanée des joyaux Toki Tori 2 et BattleBlock Theater est un signe des temps. Il y a vingt ans, ces fantaisies cartoon auraient fait sensation, bien en vue dans les rayons de tous les magasins spécialisés. Il y a une dizaine d’années en revanche, à l’ère de la 3D triomphante, elles auraient peiné à exister avec pour seules perspectives le périlleux marché GameBoy et celui du jeu PC ultra-indé. Mais aujourd’hui, avec l’essor des services de téléchargement et, pour certains titres (mais pas ces deux-là), du financement participatif, les jeux 2D au budget raisonnable de leur genre s’offrent un retour réjouissant au premier plan.
Les Néerlandais de Two Tribes seraient bien placés pour en témoigner. Lancé en 2001 sur GameBoy, leur premier Toki Tori passa d’abord inaperçu avant de renaître sept ans plus tard dans une version revue et dématérialisée qui, de la Wii à l’iPhone et au PC, allait lui valoir un succès tardif mais mérité. Et permettre la production d’une suite qui ne se contente pas de reprendre son cocktail de plateforme (sauf que, sacrilège, notre volatile ne sait pas sauter) et de réflexion. Offrant un vrai monde à visiter (plutôt qu’une succession de niveaux), Toki Tori 2 frappe par son absence totale d’explication – et même de texte dans les menus. Tout ce que l’on sait, c’est que ce poussin peut siffler ou frapper le sol. A nous de découvrir comment utiliser à notre avantage les aptitudes des habitants (oiseau, crabe, grenouille…) de ce labyrinthe bucolique. Voilà tes outils : montre-moi ce que tu peux en faire, semble nous dire le jeu, casse-tête sans mode d’emploi dont l’approche tranche avec la tendance (infantilisante ?) à tout souligner de nombre de ses contemporains. Et si, avec son gros poussin, Toki Tori 2 était le jeu le plus adulte du moment ?
Dans un style plus chahuteur, BattleBlock Theater se révèle encore meilleur. On l’aime, comme les précédentes créations du studio californien The Behemoth (Alien Hominid, Castle Crashers) pour ses airs de dessin animé faussement fauché. Et aussi pour son mélange de distanciation subtile et de grosse rigolade ou sa manière de s’accommoder aussi bien des parties à plusieurs qu’en solitaire. Mais surtout, dans le sillage d’un Super Meat Boy, pour l’aisance avec laquelle il s’approprie la grammaire du jeu de plateforme 2D – celle de Super Mario, essentiellement. L’heure n’est ni à l’hommage, ni à la parodie mais à l’usage follement inventif d’une langue ludique toujours bien vivante.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°908, 24 avril 2013)
Toki Tori 2 (Two Tribes), sur Wii U, PS4, Mac et PC
BattleBlock Theater (The Behemoth), sur Xbox 360, Mac et PC