Histoire d’amour improbable entre un repris de justice pas très finaud et une jeune handicapée moteur, Oasis revêt les atours du mélodrame : ses conventions (le couple seul contre tous), son élan, son pessimisme. Mais pas, comme on le redoute d’abord, pour nous entraîner sur le terrain commun de la fiction compassionnelle et consensuelle. Ici, pas de frontière définitive entre bien et mal, entre normal et anormal, mais une vaste zone d’indétermination. Le délinquant se moque-t-il de la jeune femme ? Veut-il lui faire du mal ? Le sait-il lui-même ? Auteur il y a quelques années du très remarqué Peppermint Candy (et désormais ministre de la Culture de Corée du Sud), Lee Chang-Dong parvient, dans Oasis, à placer le spectateur au cœur même des événements, dans l’espace physique de la scène, tout en récréant une distance qui prend la forme du doute.
Ni l’identification ni l’idéalisation ne sont possibles, et ce film âpre flirte souvent avec le désagréable, avec le dissonant. Jusqu’à ce que survienne, d’abord avec surprise, du merveilleux éphémère : lumières qui se changent en colombe ou en papillon, fille dont le visage perd sa grimace, dont le handicap disparaît, et qui se jette au cou du garçon. Cela renvoie à la « fausseté » (comme les enfants disent « c’est pour de faux ») du jeu et met sur la sellette la performance d’actrice, mais cela questionne surtout notre regard, notre désir de spectateur (veut-on du cru, du cuit, du saignant ? de l’idéalisé, de l’authentique, du pré-pensé ?). Plus que dans un éventuel discours social à base d’appel à la tolérance, ici réside l’enjeu d’Oasis. Et c’est de cette incertitude aussi que découlent ses moments de plus grande beauté : à la limite entre le réel contraint et l’imaginaire libéré, lorsque, d’une scène attendue, l’avenir demeure indéchiffrable.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°584, novembre 2003)
Oasis (2002) de Lee Chang-Dong