Too Young to Die

TooYoung

A Cannes, on a beaucoup parlé du viol mimé par Monica Bellucci, en plan fixe, dans Irréversible de Gaspar Noé. Un autre plan tout aussi fixe, à peine moins long (5 bonnes minutes), était pourtant bien plus fort. Park Chi-Gyu et Lee Sun-Ye y font l’amour. Agés respectivement de 72 et 71 ans, ils forment un couple, dans la vie comme dans Too Young To Die, le premier film du Coréen Park Jin-Pyo. A l’origine, il y eut une rencontre pour un documentaire télé, l’un de ceux que Park tourne depuis dix ans, et, très vite, le désir d’aller plus loin. Park Jin-Pyo a alors suivi ses amoureux pendant deux mois, observant leurs habitudes, leur langage, leur façon d’être, pour aboutir à un scénario qui évolua cependant largement au cours du tournage. Car s’il est le réalisateur du film, ses interprètes en sont aussi, à leur manière autofictionnelle, les co-metteurs en scène. Son intention ? « Montrer la vitalité de ce couple, montrer qu’ils sont vivants. Montrer, tel qu’il est, le plus bel amour du monde. »

Très vite, au début de Too Young To Die, l’homme et la femme se rencontrent. Il se teint les cheveux. Elle emménage chez lui. Ils se découvrent peu à peu. Se caressent dans le noir (elle y tient), puis en pleine lumière. Batifolent dans la baignoire et font l’amour, encore et encore, presque chaque jour, et même l’après-midi – l’homme ne manque pas de le noter avec application sur leur calendrier affiché au mur. Grand admirateur de Kiarostami, Park enregistre tout cela avec une sobriété admirable (« Je tenais à rester à distance, un pas en arrière »), comme autant d’activités qui, ensemble, forment un tout. Car si les scènes où le couple s’accouple sont renversantes, elles ne sont que l’un des éléments réunis par un montage égalitaire, au même titre que celles d’enseignement mutuel (elle lui apprend le chant, lui la calligraphie) ou que la séquence, aux portes du mélodrame déchirant, où l’homme court le marché en appelant sa maîtresse qu’il croit disparue.

Too Young To Die est un petit miracle d’équilibre amoureux, à l’interprétation fière et ludique. Aux antipodes d’un Daniel Karlin, évidemment. Pour tourner ces fameuses scènes d’amour, l’équipe de tournage a installé deux caméras et s’est absentée, le réalisateur restant seul à les regarder, derrière la porte de la chambre entrebaillée. Plus tard, il a découvert ce que les caméras avaient enregistré, ces assemblages de formes étonnants, cette facétieuse familiarité. « Je n’avais pas imaginé que cela pourrait être aussi beau. J’ai ressenti un sentiment difficile à définir. Ce n’était pas de la tristesse, surtout pas de la pitié, cela me remuait là. [Il désigne son ventre.] Je voulais que les spectateurs ressentent la même chose. » Le spectateur ressent la même chose. Au cinéaste, on a demandé des nouvelles de Park Chi-Gyu et Lee Sun-Ye, restés en Corée, très occupés. Alors que vous lisez ces lignes, ils s’aiment toujours en riant.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°569, dossier Cannes, juin 2002)

Too Young to Die (2002) de Park Jin-Pyo

Erwan Higuinen

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