Dans les deux Austin Powers, qu’il a réalisés, Jay Roach filmait sans retenue, dans l’explicitation régressive immédiate. Bien que tout aussi phobique, Mon beau-père et moi fonctionne autrement : l’explosion aura bien lieu, et elle sera spectaculaire, mais seulement après une longue période de rétention. C’est la règle du film et, à leur échelle, de beaucoup de ses séquences. Si les malheurs de Ben Stiller, invité pour le week-end chez les parents de celle qu’il compte demander en mariage, vont croissant, la mise en scène n’appuie pas cette montée en puissance (auto)destructrice. Plus que l’enchaînement, c’est le blocage qui met mal à l’aise, la faute de goût, le lapsus, l’inévitable maladresse.
Si, dans la lignée de Mafia Blues, De Niro, en beau-père que l’on soupçonne atrabilaire, aligne les grimaces, c’est le détail qui importe : ce plissement du front est-il annonciateur d’une tempête ? Ce geste est-il celui du bourreau ? C’est sur ce terrain que l’exagération deviendra possible, que le cauchemar annoncé pourra se réaliser. En choisissant judicieusement de retrancher plutôt que d’ajouter, Jay Roach fait constamment pressentir le pire, le passage du trop peu au trop. Tous les regards se posent sur Ben Stiller, qui lui-même semble se regarder agir, contempler en direct ses faux pas sur une scène qui n’existe que pour (contre) lui. Il est l’acteur burlesque plongé dans une comédie de situation, l’adolescent chez les adultes, le catalyseur idéal du rire horrifié. Notre miroir déformant, en somme.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°553, janvier 2001)
Mon beau-père et moi (Meet the Parents, 2000) de Jay Roach