Les Dents du diable

Dents2Les Dents du diable commence surprenant : panoramique sur la banquise, l’eau, des icebergs; arrêt sur un ours blanc qui nage paisiblement. Sur lui s’abattent soudain deux harpons, lancés par des Esquimaux qui s’approchent à la rame. Sur ce, générique, puis voix off qui paraît évadée d’un docu sur le Grand Nord. Pourtant, Les Dents du diable n’est pas un documentaire, ou pas plus que les autres films de Nicholas Ray. Rapidement, la voix oublie les généralités au profit des personnages, avant de s’éclipser. Les personnages, c’est d’abord l’Esquimau interprété par Anthony Quinn qui, pour parler de lui-même, dit « l’homme », « cet homme » ou « ce chasseur ». Et le sujet du film, c’est bien « cet homme » et sa vie. D’où le côté documentaire.

Si, en 1959, Nick Ray tourne un film avec (plutôt que sur) des Esquimaux, ce n’est en rien un virage à 180° pour ce cinéaste romantique là où beaucoup ne sont que sentimentaux. En choisissant des personnages extérieurs à la « civilisation », il ne fait que pousser à l’extrême son goût des êtres différents. Comme souvent, il y aura incompréhension et confrontation avec la norme, ici représentée par « les Blancs » et leur justice qui ne peut comprendre qu’un Esquimau tue un missionnaire simplement parce que celui-ci refuse de partager son repas (une viande grouillant de vers) et de « rire avec sa femme ». Des ados de La Fureur de vivre ou du flic de La Maison dans l’ombre à cet Esquimau, il n’y a qu’un pas. Un grand pas, peut-être, mais juste un pas.

Face à un monde hostile ­ la civilisation qui avance ou le Grand Nord sauvage ­, une seule issue : trouver quelqu’un avec qui faire sa route, quelqu’un qui, ici, est littéralement choisi (Anthony Quinn hésite entre deux sœurs, en désigne une, puis change d’avis). Il ne restera alors plus qu’à filer en traîneau et se bâtir son petit igloo perso. Ayant sauvé la vie d’un flic venu l’arrêter pour le meurtre du missionnaire, l’Esquimau repart libre avec sa femme et son fils. Généreux, Nicholas Ray offre un dénouement utopique, sans doute éphémère, mais beau comme son film.

(Paru dans Libération du 23 avril 1997)

Les Dents du diable (The Savage Innocents, 1960) de Nicholas Ray

 

Erwan Higuinen

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