Il y a deux raisons de s’intéresser à La Revanche de la créature (1955). La première, c’est que, pendant une grosse minute, on peut y voir, dans le rôle d’un laborantin distrait, les débuts à l’écran d’un joli garçon de 25 ans du nom de Clint Eastwood. La seconde, moins anecdotique, est que le film est signé Jack Arnold, auteur de très estimables séries B d’épouvante et de science-fiction dont se détachent Tarantula et, surtout, le formidable Homme qui rétrécit. Deux réussites que n’égale pas La Revanche de la créature, film qui dépasse pourtant l’ordinaire du genre.
D’abord parce qu’il est très tenu, ne sombrant jamais dans le ridicule qui menaçait pourtant cette histoire de créature mi-homme mi-reptile amphibie, à égale distance des films de genre « sérieux » (comme Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel) et de la série Z à monstre gluant.
Mais Arnold a surtout l’intelligence de poser dès le départ, lors d’un prologue en Amazonie décrivant la capture de la bête, le principe du récit: la créature (dont on parle avant de la voir) est dangereuse, l’hécatombe aura forcément lieu. Son évasion est alors prévisible, comme la panique et la traque qui en découleront. Si cette fiction traditionnelle fournit la trame du film, elle abrite aussi un passager clandestin, une histoire d’amour frustré, ou du moins une attirance de la créature pour une jeune femme dont l’idylle banale avec un scientifique fournit un second fil conducteur. Coincée dans son aquarium, la bête les regarde tristement, comme elle le fera plus tard lors d’une baignade, puis devant chez eux, avant d’enlever la blonde à la manière d’un King Kong aquatique. Ce portrait du monstre en spectateur envieux maintenu à distance fait tout le prix du film qui, s’il n’élude pas ses instincts sanguinaires, le présente aussi en victime (de sa nature et de la science). Sur sa face hideuse couverte d’écailles, on jurerait avoir vu couler une larme.
(Paru dans Libération du 22 mai 1998)
La Revanche de la créature (1955) de Jack Arnold
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