Les Enchaînés

notorious

Parmi tous les films d’Hitchcock, Notorious (Les Enchaînés en VF, 1946) est sans doute l’un de ceux qui suscitent le plus grand attachement. Son histoire est simple: un homme (Cary Grant) rencontre une femme (Ingrid Bergman), lui demande de coucher avec un autre homme (Claude Rains) pour obtenir des renseignements (le fameux macguffin, ici un échantillon d’uranium), la perd de vue quelques temps et revient finalement la chercher. Le reste, à base d’espions nazis réfugiés à Rio après la guerre et d’intervention de la CIA, est secondaire car, de l’histoire d’espionnage, Hitchcock ne s’intéresse qu’à la structure : l’espionne est celle qui a deux vies (et deux hommes), deux histoires à vivre dont l’une est une fiction et l’autre pas. Avec, au point de rencontre de ces deux scénarios, le risque de se perdre, jusqu’à se faire prendre au piège (mariée au « méchant », enfermée, sous sa coupe et celle de la belle-mère qui est le seul personnage totalement du côté de la maîtrise).

Tout au long du film, Ingrid Bergman est celle qui est travaillée physiquement, par l’alcool au début, l’amour ensuite et, finalement, le poison qui lui est peu à peu administré, toujours ivre de quelque chose alors que Cary Grant reste en retrait, comme s’il refusait de faire face, mi-spectateur mi-metteur en scène dont les incursions au premier plan ne sont qu’épisodiques. Avec cependant un sommet: l’inoubliable scène dans la cave à vin où, s’étant éclipsés alors qu’une fête se déroule dans la maison, tous deux cherchent la bouteille contenant l’uranium, tout l’enjeu du récit se concentrant dans la clé de cette cave – que la femme a dérobée à son mari pour la confier à l’homme qu’elle aime et effectuer cette mission ensemble – puis dans la bouteille. Il devient alors évident que le suspense hitchcockien, moyen d’impliquer le spectateur, restitue surtout la vision d’un monde hostile dans lequel l’union de ces deux « étrangers » est bien ce qui pose problème.

(Paru dans Libération du 11 octobre 1997)

Les Enchaînés (Notorious, 1946) d’Alfred Hitchcock

Erwan Higuinen

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.