Space Giraffe n’est pas un jeu comme les autres. Le contraire aurait été étonnant de la part de son créateur Jeff Minter, alias Yak, figure atypique de l’industrie du jeu vidéo. Ou plutôt à côté de ladite industrie, car en ces temps de croissance sans limite des budgets et des équipes de développement, Minter travaille tranquillement en duo avec son compère Ivan Zorzin, dans son fief reculé de la campagne galloise qu’il partage avec une chèvre, cinq moutons et deux lamas.
Vétéran chevelu du game design d’outre-Manche, Jeff Minter s’est distingué dès le début des années 80, au temps du Commodore 64 et du ZX Spectrum, par une série de shoot’em ups inventifs et excentriques, peuplés de chameaux mutants et de lamas géants. Disponible en téléchargement sur le service Live Arcade de la Xbox 360, Space Giraffe marie deux de ses passions : les synthétiseurs visuels (on lui doit le fameux lecteur de musique kaléidoscopique de la console de Microsoft) et le grand classique arcade Tempest de Dave Theurer, auquel il a par le passé déjà donné deux suites.
De Tempest, Space Giraffe reprend l’allure (avec sa « grille » changeante sur laquelle descendent les ennemis) et le principe général, tout en y ajoutant des subtilités que le joueur aura d’abord du mal à saisir, les instructions et le didacticiel se révélant pour le moins abscons. D’autant qu’à l’écran, c’est une avalanche d’effets psychédéliques. Mais, bientôt, on comprend mieux, on progresse et, en fin de niveau – Space Giraffe en compte 100 –, le jeu cesse de nous asséner « You are Meh ! » (la honte…) pour nous qualifier de « Semi-Respectable » voire, après quelques instants en état de grâce, de « Super Ultra Top Banana ! »
Autant qu’à un trip enivrant, Space Giraffe s’apparente en fait à une école de l’acuité, de la perception. Plus encore qu’à l’habileté du joueur, c’est à sa capacité à faire le tri entre les formes, les couleurs et les sons qu’il fait appel, pour réagir à une partie de ce qui se passe tout en se laissant transporter par l’ensemble. Comme dans un équivalent vidéoludique de la noisy pop 90’s de The Jesus & Mary Chain ou My Bloody Valentine, le gameplay (la mélodie) ligne claire s’épanouit sous les effets stridents – même si, musicalement, cette étourdissante girafe évolue plutôt en terres acid house. Quoi qu’il en soit, les débats internet houeux l’attestent déjà, Space Giraffe ne plaira pas à tout le monde. Radical et scintillant, il est même de ces œuvres qui obligent à choisir son camp. Et on l’a choisi, passionnément.
(Paru dans Les Inrockuptibles n°615, 11 septembre 2007)
Space Giraffe (Llamasoft), sur Xbox 360 et PC
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