Impressionnante série produite par David E. Kelley (comme Ally McBeal), The Practice tourne autour d’un cabinet d’avocat, pour toujours y revenir. Ce cabinet remplit les mêmes fonctions que l’hôpital d’Urgences ou le commissariat de New York Police Blues : c’est à la fois un microcosme humain, une institution américaine et le lieu où, d’épisode en épisode, converge une flopée d’individus soudain placés dans une situation d’extrême vulnérabilité. Ce qui ne manque pas de déteindre sur les six avocats (et sur la procureur jouée par Lara Flynn Boyle) qui semblent vivre en circuit fermé, de leurs bureaux au tribunal où ils croisent toujours les mêmes visages. Bien qu’a priori très précisément caractérisés (le patron-copain brillant, la jeune ambitieuse, le second couteau peu sûr de lui…), ces personnages forment moins un panel sociologique qu’une association en constante redéfinition et une famille de substitution vaguement incestueuse – voir les petites arrangements sexuels entre collègues de bureau. Constamment, les sphères publique et privée se mêlent, tendent à se superposer. Et chaque épisode raconte moins deux ou trois affaires en jugement qu’il n’en observe le reflet sur ses personnages.
Malgré l’élégance sans accrocs de Bobby Donnell, fondateur du cabinet, et la façon dont les avocats acceptent de défendre les pires criminels, quitte à employer des procédés éthiquement douteux, The Practice n’a rien d’une série néoyuppie : tout y affirme au contraire l’impossibilité d’un pur professionnalisme, d’une efficacité sans état d’âme, d’une séparation entre l’homme et son travail. Et le succès de ce cabinet fréquemment menacé par la ruine est à la fois un objectif et une source d’angoisse – éviter de ressembler aux grands cabinets concurrents, ne pas s’installer dans une posture d’avocats cyniques et intéressés, conserver sa fragile singularité.
Le tribunal est le royaume de la fiction. « Il suffit d’offrir au jury une histoire qu’il ait envie de croire », avance Bobby dans l’un des premiers épisodes de la troisième saison. De l’offrir au spectateur aussi, comme aux personnages. Mais, justement, de négociations avec le procureur en discussions de couloir pour élaborer une stratégie de défense, de disputes intimes en plaidoiries contradictoires, les histoires se multiplient, les visions des faits successivement délivrées paraissent également convaincantes, la croyance vacille, cherche où se poser. Dans The Practice, la position de chacun est sans cesse remise en question. Chaque personnage possède son rythme propre, qu’il tente d’imposer à la scène (afin de convaincre un jury ou de s’affirmer au sein du cabinet) ou d’accorder fébrilement à celui d’un autre pour un éphémère pas de deux. Mais, toujours, une nouvelle affaire, un nouveau renversement oblige à tout recommencer. Là réside la modernité de The Practice, série de l’instabilité nerveuse et du souffle court.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°540, novembre 1999)
The Practice (1997-2004), série créée par David E. Kelley