Et si la plus grande star de toute la culture graphique nippone était un plombier italien rondouillard à moustache régalant la planète de ses acrobaties depuis plus de deux décennies ? En 1990, un sondage avait montré que Mario était plus connu que Mickey chez les enfants américains. Si bien d’autres héros de jeux vidéo sont depuis venus rivaliser avec la mascotte de Nintendo, le rapprochement avec la souris Disney conserve sa pertinence. Comme Mickey, Mario s’inscrit dans les esprits en tant qu’addition de signes distinctifs (son gros nez, sa casquette, ses sauts…) plutôt qu’en référence à la place qu’il occuperait dans un récit fondateur. Comme lui, aussi, la créature de Shigeru Miyamoto touche à l’universel en raison même de sa nature inachevée, de son absence d’attache à un temps et un lieu déterminés.
Si son image a toujours été présente (et commercialement très exploitée), le personnage Mario ne s’est pourtant qu’assez rarement hasardé au-delà des frontières du jeu vidéo. Alors que Hollywood a tenté, sans grand succès, d’en faire un héros de cinéma en 1993 (après lui avoir donné sa série télé en 1989), le seul véritable anime japonais recensé est un moyen métrage de 1986 dans lequel Mario et son frère Luigi se trouvent précipités dans le Royaume Champignon de Super Mario Bros pour y vivre de surréalistes aventures calquées sur celles du jeu. Pur produit dérivé, cet essai gentiment hystérique restera sans lendemain.
Cela n’entachera cependant nullement le règne du plombier bondissant car ce sont d’abord les jeux, de Donkey Kong (1981) à Super Mario Galaxy (2007), qui en ont fait un roi de l’animation. Alternativement sportive et burlesque mais toujours gratifiante, cette dernière a pour particularité d’être entièrement de notre ressort. Voilà sans doute le secret de ce Charlot du jeu vidéo : Mario est le glorieux héritier commun de la marionnette et du manga.
(Paru dans Manga Impact, Editions Phaidon, 2010)