Dans Prisonnières des Martiens, il n’y a qu’un seul monstre, un robot piloté par les extra-terrestres pour démontrer leur puissance aux Terriens. Mais le film se rattache clairement au genre des kaiju eiga (films de grands monstres) né au Japon dans les années 50 et dont Ishiro Honda, auteur du premier Godzilla (une bestiole entre le tyrannosaure et un Casimir sanguinaire géant) et de Rodan (fameux ptérodactyle ressuscité), était le chef de file, avant de collaborer avec Kurosawa sur Ran, Kagemusha ou Rêves. Un cinéma moins connu que ceux qu’il a influencés : Tim Burton pour Mars Attacks !, Spielberg pour les deux Jurassic Park, Emmerich pour Independence Day (et bientôt le remake de Godzilla) ou Mimi Leder pour le récent (et très sous-estimé) Deep Impact, l’un des rares à retrouver le profond désespoir de la science-fiction japonaise.
A peu près contemporains des films de monstres US de Jack Arnold (du Météore de la nuit à Tarantula), les kaiju eiga se nourrissent d’abord de la peur du nucléaire, après Hiroshima et Nagasaki. Godzilla, Rodan et Mothra (la peu appétissante mite géante) naissent tous d’une explosion atomique. Dans Prisonnières des Martiens, les envahisseurs débarquent de la planète Mysteroid, détruite à la suite d’une guerre nucléaire. Tout au long des années 50, ces films rejouent les traumatismes subis par le Japon et triomphent au box-office. Comme un exorcisme collectif, avant que le genre ne vire à la parodie.
On a souvent moqué les effets spéciaux des kaiju eiga, conçus pour la compagnie Toho par Eiji Tsuburaya, qui affublait un acteur d’un costume de monstre et le faisait piétiner des maquettes. C’est pourtant par son réalisme que frappe d’abord Prisonnières des Martiens, qui s’ouvre sur une fête traditionnelle à laquelle participent des jeunes gens, avant d’offrir quelques instantanés de la vie nippone : pas de doute, c’est bien le Japon de 1958 qui subit la catastrophe. Puis viennent des moments de fantaisie colorée, des vols de soucoupes volantes à travers le ciel, l’intérieur illuminé du QG des extra-terrestres. Mais le film bascule vite dans l’horreur, dans quelque chose de très noir et pessimiste fait de tremblements de terre, de raz-de-marée, d’explosions et de découragement. Par un montage virtuose, Honda lie les plans de destruction aux images de figurants paniqués, qui ne sont ni une foule anonyme ni un groupe de personnages connus, mais entre les deux, des êtres bien vivants qui, tous ensemble, fuient le danger. Et on y croit.
Le film milite très explicitement pour le désarmement et, en pleine guerre froide, pour un rapprochement USA-URSS. La Terre ne sera sauvée que par une entente de tous. Un plaidoyer un peu naïf dans un film curieusement dénué d’héroïsme guerrier, exemple rare de divertissement désespéré et pourtant réjouissant. En s’aventurant aux frontières du ridicule, Honda inventait alors le film-catastrophe poétique.
(Paru dans Libération du 30 juillet 1998)
Prisonnières des Martiens (1957) d’Ishiro Honda
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