Pen-Ek Ratanaruang

LastLife

Lentement mais sûrement, le cinéma thaïlandais s’est frayé un chemin jusqu’aux écrans occidentaux, du génie avant-gardiste d’Apichatpong Weerasethakul (Tropical Malady) à l’hollywoodisme stylé des frères Pang (The Eye). De cette encore hypothétique vague thaï, le cas Pen-ek Ratanaruang est l’un des plus intrigants. Au vu de Monrak Transistor, troisième film en forme de mélo musical campagnard de ce jeune quadragénaire, on aura tôt fait de le cataloguer comme remixeur pop des formes traditionnelles du cinéma de son pays. A l’inverse, le découvrant avec Last Life in the Universe, son film suivant, on le classerait sans hésiter parmi les représentants à peu près établis du cinéma d’auteur panasiatique au vu de l’élégance subtile de sa mise en scène et de son affiche all-star annonçant Chris Doyle (chef opérateur de Wong Kar-wai) derrière la caméra et l’inévitable Japonais Tadanobu Asano (vu chez Kitano, Oshima, Aoyama, Kore-eda, Kiyoshi Kurosawa, Hou Hsiao-hsien…) ainsi que le très tendance Takashi Miike (en yakuza aux sourcils rasés) devant.

Quoi de commun entre la frénésie romanesque vaguement kitsch de Monrak Transistor (qui relate les improbables mésaventures d’un aspirant chanteur naïf sadisé par l’homme et le hasard) et l’énigmatique anémie narrative de Last Life… (centré sur les relations incertaines entre un Japonais suicidaire et maniaque et une prostituée thaï fantasque rêvant d’Osaka) ? Rien au premier regard, mais, en se penchant un peu, bien des choses : une appétence certaine pour les contes cruels et la trivialité silencieusement goguenarde, un art du burlesque rentré, à froid et de l’ironie ralentie qui ne saurait cependant ternir les éclats sentimentaux. Mais aussi de légers clignotements identitaires, une incertitude ponctuelle quant au degré de réalité de ce qui est montré. Et surtout, d’un film à l’autre, deux personnages d’« idiots » modernes globalement inaptes au présent, l’un ébloui par ses rêves, l’autre retranché dans ses livres et son obsession du rangement et de la propreté, et que ne pourrait sauver du pire qu’une lueur de bienveillance soudain apparue sur un beau visage féminin.

(Paru dans Les Inrockuptibles n°492, 4 mai 2005)

Monrak Transistor (2002) et Last Life in the Universe (2003) de Pen-ek Ratanaruang

Erwan Higuinen

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