L’émeute attendue n’a pas eu lieu. Au souvenir des files d’attentes interminables et des refoulés au visage défait d’il y a deux ans, lors du 2e festival Nouvelles Images du Japon, la rumeur conseillait : venez tôt, achetez vos places à l’avance ! En fait, à de rares exceptions, c’est à son aise dans des salles souvent dépeuplées que l’on a découvert ce nouveau panorama de l’animation japonaise. Ne s’agissait-il alors que d’un phénomène de mode, d’un feu de paille vite éteint ? Sans doute pas : le dessin animé nippon a peu à peu gagné en reconnaissance et en visibilité, et le festival Nouvelles Images du Japon n’y est pas pour rien. Le temps est révolu des œuvres à voir ici et maintenant, ou sinon jamais. Ainsi de la rétrospective « L’âge d’or de Toei Animation (1956-1979) » : Le Serpent blanc de Taiji Yabushita, Horus, prince du soleil d’Isao Takahata, Le Chat botté de Kimio Yabuki et Les Joyeux Pirates de l’île au trésor de Hiroshi Ikeda, représentants épatants de « l’école du mouvement » (par opposition aux œuvres où le design est premier), sortiront tous en salles dans les mois à venir. Si l’on s’inquiète un peu pour l’avenir du festival, ses organisateurs peuvent se consoler en constatant que leur travail de défrichage a porté ses fruits.
Le paradoxe est que cette 3e édition du festival fut la meilleure, car à la fois la plus variée esthétiquement et la plus homogène qualitativement, de l’hommage au grand réalisateur de films de marionnettes Kihachiro Kawamoto (maître d’œuvre de Jours d’hiver, film collectif adapté des haïkus, entre autres, de Bashô) à la réévaluation d’un genre souvent dénigré : le film de robots géants. Et, dans le rôle de l’invité-vedette, à Hayao Miyazaki succédait idéalement Satoshi Kon, le réalisateur de Perfect Blue, venu présenter ses deux derniers films : Millenium Actress et Tokyo Godfathers, très dissemblables par le style et l’inspiration. Le premier effectue un survol mélodramatique virtuose de l’histoire du Japon et de son cinéma à travers les souvenirs d’une actrice ; le second est un conte de Noël qui ne s’autorise à décoller dans l’imaginaire que parce qu’il s’ancre d’abord très profondément dans le Tokyo des déclassés d’aujourd’hui. De ces deux films et de Perfect Blue émerge cependant une figure commune, une vision du plan comme assemblage sentimental d’éléments inégalement réels, comme construction mentale collective. Une idée du cinéma d’animation qui est aussi une porte d’entrée vers beaucoup d’œuvres du genre, dont les ahurissantes séries présentées à Paris. Si l’on doit n’en citer qu’une, ce sera .hack//sign, partie d’un vaste projet (série TV, BD, jeux vidéo) qui a pour particularité de se dérouler au sein d’un jeu de rôle sur Internet. Ses premiers épisodes sont prometteurs : ici s’inventent de nouvelles logiques narratives, des sociabilités inédites, d’étranges rapports à l’espace et au temps. La suite dira où tout cela (l’animation, la culture pop japonaise, le mariage avec le jeu vidéo) nous mènera, mais la route est ouverte.
(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°586, janvier 2004)