De la finchitude

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Au départ, il n’est là pour personne. Il a bien une fonction à remplir, des taches ingrates à accomplir, mais il se laisse facilement oublier. Lui, c’est Dennis Finch (joué par le comique David Spade, venu du Saturday Night Live), secrétaire à défauts multiples, éternel sous-fifre dont la totale absence de scrupule confine au sublime, de la sitcom Voilà ! (Just Shoot Me en V.O, diffusée sur Comédie ! et sur AB1). Finch travaille dans un magazine de mode. Il y est l’assistant du patron, jaloux de son affection, aussi obséquieux qu’il est humainement possible, et en même temps prêt à tous les mauvais coups – qu’il effectuera en douce, cela va de soi. Dans cette série évoluent des journalistes stylées, des top-models sculpturales, des photographes respectés. Finch, à côté d’eux, n’est que peu de chose. D’ailleurs, ça se voit : physiquement aussi, c’est le plus petit, à qui l’on imagine volontiers, avant sa transformation en traître magnifique, un passé de souffre-douleur (un épisode où, afin d’aider à la préparation d’un article bien informé, il devait retourner au lycée, l’a confirmé). Ce serait donc un valet fourbe, juste un Scapin de plus ? Pas exactement : Finch a ceci de particulier qu’il est le personnage de télévision idéal, réduit, zappable à volonté, le type même du mauvais compagnon indispensable. S’il est télévisuel, c’est surtout que Finch est à la fois absolument immuable (un petit blond à l’œil torve, rangé à sa place) et définitivement multiforme, il peut ressembler à tout, jusqu’aux personnages de dessins-animés (le loup lubrique de Tex Avery ou Droopy, toujours-déjà présent là où l’on débarque).

 

Souvent, Finch a de grandes idées. Par exemple, pour l’anniversaire d’un photographe du journal, échanger les cadeaux que lui destinent un collègue (des accessoires S.M., pour rire) et la fille du patron (une PlayStation, avec laquelle elle lui proposera de jouer à deux). Et il observe ce qui se passe, retranché derrière son bureau puis, le soir où les deux piégés se sont donnés rendez-vous avec des idées sensiblement différentes sur leurs activités à venir, derrière la porte de l’appartement, muni d’un appareillage audio ultra-sensible pour tout entendre. Finch n’est pas à proprement parler un metteur en scène, ses tours n’ont pas cette envergure. Et s’il veut tout, il peut peu. Pas de passage à l’acte envisageable, spectateur il est, spectateur il restera (il est d’ailleurs souvent filmé comme dans un espace à part, ailleurs). Tout juste peut-il influer sur le déroulement des événements, comme en manipulant sa télécommande. Alors, les autres personnages se comportent bizarrement, ont des idées troubles, complotent à leur tour. Il les a contaminés, la finchitude s’est répandue. Il ne le savent pas encore, mais c’est pour lui qu’ils s’agitent. Vous êtes Dennis Finch ? Enchanté, moi aussi.

 

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°556, avril 2001, chronique « Serial Lover »)

Erwan Higuinen

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