A l’infini

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Le mois dernier, Série Club a achevé la rediffusion de la vieille série (collection serait plus juste) Twilight Zone (1959-1965, La Quatrième Dimension pour les francophones). On a raté les épisodes réalisés par Jacques Tourneur ou Ida Lupino mais pas celui de John Brahm. En 1944, ce cinéaste méconnu signait avec The Lodger une terrifiante version de l’histoire de Jack l’Eventreur. Au début des années 60, pour la télé, il retrouve ledit éventreur. Mais sous la forme d’une statue de cire sur laquelle veille un conservateur maniaque. Figé, non plus fuyant mais offert à la curiosité des visiteurs (du musée, de la télé), Jack éventre pourtant encore. Et l’on se remet à frissonner, tenté de conclure mollement que la télévision ne nous propose avec ses séries rien d’autre que du cinéma rétréci et condamné, pour subsister, à évoluer en captivité. On aurait pu s’installer dans cette confortable impasse théorique. Mais la télévision nous a une fois de plus offert une deuxième chance.

Deuxième Chance (dont Téva diffuse actuellement la deuxième saison) est le titre français de Once and Again, série que l’on doit aux auteurs de la merveilleuse Angela, quinze ans. On y suit un homme et une femme, quadragénaires divorcés avec enfants (deux chacun, mais pas d’emblée quatre en tout), qui refont pas à pas leur vie ensemble. L’enjeu : réunir leurs existences largement entamées séparément. La folle ambition de cette série : ne rien laisser à l’écart des ramifications de chacune, et même ne réduire personne, ex, enfants, famille, amis, collègues, voisins…, au rang de personnage secondaire. Alors que le cinéma, dans les films dits de groupe récents, opte le plus souvent pour un partage des séquences, des plans, du temps de présence à l’image, Deuxième Chance se révèle bien plus aventureux. D’abord en n’hésitant pas à consacrer régulièrement un épisode à un personnage a priori très périphérique (exemple : celui où la sœur libraire de l’héroïne organise une soirée pour lecteurs célibataires). Mais surtout, à l’échelle d’une séquence, en démultipliant les points de vue.

Les auteurs de la série ont recours à un artifice que l’on a un temps cru inutile mais qui est en réalité essentiel : fréquemment, l’action s’interrompt et l’un de ceux qui y participent apparaît, en noir et blanc, face à la caméra, pour en livrer un commentaire personnel. Ce qui, lorsque l’on reprend le fil de l’histoire, en modifie radicalement la perception. Comme si cohabitaient alors dans le plan autant de fictions qu’il y a de personnages, aussi proches de l’égalité que possible. Est-ce encore du cinéma miniaturisé ? Plutôt engagé dans un mouvement alternatif, plié (concentré) puis déplié (élargi, potentiellement à l’infini). Ne pas se fier à l’étroitesse de façade de Deuxième Chance, série secrètement, follement, fiévreusement utopique. Devant laquelle, par ailleurs, à tous les coups je pleure.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°558, juin 2001, chronique « Serial Lover »)

Erwan Higuinen

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