Angela, 15 ans

Angela

Une seule saison, dix-neuf épisodes, pas un de plus. Pour ceux qui l’ont fréquentée il y a déjà presque 20 ans ou qui la découvrent aujourd’hui, Angela aura toujours 15 ans, figée dans son adolescence fébrile par la décision de la chaîne ABC de ne pas renouveler pour une deuxième saison la série créée par Winnie Holzman qui, quelques années plus tard et sur une tonalité proche, aurait davantage de chance avec Once and Again. Il faut dire qu’Angela, 15 ans (« Ma soi-disant vie » en V.O.) n’avait rien d’une série teen ordinaire, surtout dans le contexte moyennement audacieux de la première moitiés des années 1990. Adoptant hardiment le point de vue de ladite Angela, incarnée par une toute jeune Claire Danes (13 ans lors du tournage du pilote en 1993), et dont la voix off, sorte de journal intime oral nous accompagne, la série n’hésitait pas à aborder de front tout un tas de sujets pas franchement consensuels, de l’homophobie à l’alcoolisme adolescent. Mais attention : ne pas en déduire pour autant qu’il s’agirait d’une suite d’épisodes-dossiers à destination des jeunes pour les convaincre de rester dans le droit chemin, d’éviter la drogue, de bien travailler à l’école et blablabla. Non, Angela, 15 ans est une série aussi crue que délicate et dont les personnages ne sont jamais au service d’un message – ce serait pire que tout, ce serait leur faire subir une violence intolérable.

Ces personnages, ce sont d’abord les ados, Angela en tête qui, à 15 ans, se cherche, prend ses distance avec ses amis d’enfance pour trainer à la place avec la nettement moins sage Rayanne et l’adorable Rickie, jeune homo orphelin que son oncle bat. Et puis elle tombe amoureuse de Jordan Catalano (Jared Leto), joli garçon mystérieux (et quasi illettré, découvrira-t-elle plus tard) avec qui sa relation sera tout sauf simple. Angela change donc mais elle n’est pas la seule et, si elle en occupe bien la place centrale, la série est aussi un très beau (et émouvant) portrait de groupe, parents et petite sœur compris, au sein duquel les stéréotypes sont bannis. Dans Angela, 15 ans, pas de facilités d’écriture, de schémas narratifs tout faits : chacun a toujours ses propres raisons et sentiments, du voisin frisé, gauche et un peu lourdaud, qu’Angela ne veut plus trop fréquenter alors que, petits, ils étaient inséparables – l’un des épisodes adopte d’ailleurs son point de vue – au père de la jeune fille qui passe tout près de tromper sa femme.

La série n’en reste pas moins avant tout une étourdissante (vraiment : elle nous tourne la tête) plongée dans la vie adolescente. La manière d’habiter ses lieux emblématiques est impressionnante de précision et de simplicité mêlées – a-t-on vu lycée mieux filmé depuis, si ce n’est dans Elephant de Gus Van Sant ? La façon de saisir les désirs, les doutes, les enthousiasmes, des yeux qui se baissent, un pas qui s’accélère, une silhouette qui se redresse, ne l’est pas moins. D’autant que, par son écriture, le jeu de ses acteurs, son tempo et ses mouvements de caméra, Angela, 15 ans possède quelque chose d’étrangement musical, fruit d’une sorte de parti pris pop et raffiné, petite forme élégante et crève-cœur plutôt que grand-œuvre sociologique. Et il y a Claire Danes, une bonne décennie et demie avant Homeland, dont la grâce mêlée de maladresse discrète et les impulsions juvéniles presque délivrées de toute timidité dotent le personnage d’Angela d’une vérité sidérante. Sa soi-disant vie, même réduite à une année, est de celles qui ne s’oublient pas.

(Paru dans Les Inrockuptibles, hors-série « 120 séries indispensables », mars 2014)

Angela, 15 ans (My So-Called Life, 1994-1995), série créée par Winnie Holzman

Erwan Higuinen

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