Resident Evil n’est pas qu’une série vidéoludique très cinéphile. C’est aussi celle dont les adaptations au cinéma ont rencontré à ce jour le plus gros succès. Alors que deux nouveaux films sont attendus cet automne, retour sur la liaison financièrement très profitable à défaut d’être cinématographiquement glorieuse entre la saga de Capcom et le grand écran.
Dans l’histoire troublée des adaptations de jeux, Resident Evil fait figure d’exception. Depuis 2002, pas moins de cinq longs métrages de cinéma, dont un film d’animation, se sont inspirés de la saga, et ils seront même bientôt sept. Resident Evil : Retribution de Paul W.S. Anderson part en effet à la conquête des écrans du globes en ce mois de septembre alors qu’au Japon, le lancement de Resident Evil : Damnation, réalisé en images de synthèse par Makoto Kamiya, est annoncé pour octobre. Dans les salles, le succès ne se dément pas avec des recettes mondiales en hausse à chaque nouvel épisode – record à battre : 296 millions de dollars pour Afterlife (2010).
Tout avait pourtant commencé par un rendez-vous manqué. Conscient de ce que la série doit au cinéma de George Romero, Capcom confie en 1998 au réalisateur américain la tâche de tourner un spot publicitaire pour la sortie de Resident Evil 2. Le père de La Nuit des morts vivants s’exécute et livre un petit film montrant Leon S. Kennedy et Claire Redfield aux prises avec des zombies dans le commissariat de Raccoon City. Uniquement diffusée au Japon, cette publicité de 30 secondes – qui, pour certaines mauvaises langues, reste à jour la meilleure « adaptation » du jeu – produit son petit effet et donne des idées aux dirigeants de Capcom. Et si Romero se chargeait lui-même de mener à bien le projet de porter Resident Evil au cinéma ? Après s’être fait un peu prier, l’auteur de Zombie étudie les jeux de près et se lance dans l’écriture d’un scénario centré sur Chris Redfield et Jill Valentine (que l’on peut retrouver sur Internet). Las ! Son récit ne séduit ni chez Capcom ni chez Sony Pictures. Exit George Romero. Place à Paul W.S. Anderson, réalisateur britannique d’Event Horizon (1997) qui s’est déjà essayé à l’adaptation de jeu avec Mortal Kombat (1995), à ne pas confondre avec l’Américain Paul Thomas Anderson (Boogie Nights, There Will Be Blood).
Resident Evil (2002) de Paul W.S. Anderson
Mais qui est donc cette jeune femme ? Inutile de se creuser les méninges : Alice, le personnage interprété par Milla Jovovich sur qui reposent les films Resident Evil en prises de vue réelles, ne provient pas des jeux mais de l’imagination d’Anderson. Ce qui n’était pas nécessairement la plus mauvaise des idées : se réveillant amnésique mais ayant des flashes de son passé, elle aurait pu faire figure de double idéal pour l’ex-joueur devenu spectateur à qui reviennent des souvenirs de ses parties de Resident Evil. Mais ce premier film a un gros défaut : entre adapter vraiment le jeu et s’approprier certains de ses éléments pour en faire autre chose, il ne choisit pas, flottant dans un entre-deux incertain. D’où un étrange mélange, alors que nos héros (Alice, un commando armé et un militant écologiste) progressent dans un laboratoire souterrain livré aux zombies, de citations directes (des dobermans écorchés, une abondance de mots clés – Umbrella, T-Virus, Nemesis…) et de dérapages plus ou moins contrôlés sur un tout autre terrain. Envolées kung-fu en petite robe rouge, pourparlers avec un ordinateur entré en rébellion tel le HAL de 2001, l’odyssée de l’espace, défis physique en milieu high-tech et ralentis à la Matrix. A peu près tout et surtout n’importe quoi, donc. Le film a cependant le mérite, au-delà de son efficacité cogneuse minimale, de ne pas négliger le fond des jeux Resident Evil, et d’abord leur méfiance vis-à-vis des multinationales et des détournements potentiels du progrès scientifique. Pour l’expérience de la peur, de l’horreur ou de la solitude, en revanche, on repassera.
Resident Evil : Apocalypse (2004) d’Alexander Witt
Deux ans plus tard, Paul W.S. Anderson cède les commandes au Chilien Alexander Witt mais, toujours scénariste et producteur, garde un œil sur le film. Lequel se présente comme une suite directe du précédent, intégrant même sa dernière séquence qui voyait Alice découvrir que l’épidémie s’était propagée et que Raccoon City était désormais la proie des zombies. C’est d’ailleurs l’une des spécificités des films Resident Evil, qui s’enchaînent à la manière d’une série télévisée, avec résumé des épisodes précédents au début et cliffhanger de fin. Apocalypse suit un peu le programme des jeux Resident Evil 2 et 3 : on change d’échelle, la ville est le nouveau décor. Cette fois, Jill Valentine est de l’aventure – avec, visiblement, Lara Croft comme modèle – et un certain Docteur Charles Ashford fait son apparition sans que la nature exacte de ses liens avec la famille Ashford des jeux ne soit bien claire. Et puis il y a le Nemesis qui, ici, apparaît comme une sorte de figure tragique ayant conservé des fragments de souvenirs de sa vie d’avant. S’il puise un peu plus dans la mythologie des jeux, Apocalypse ne s’en tire pas mieux que son prédécesseur et se révèle même par moments assez embarrassant – à moins, bien sûr, de succomber à son comique involontaire. Reste juste deux ou trois idées qui auraient mérité mieux : une virée au cimetière où les morts sortent de terre, une attaque d’enfants-zombies à l’école, un trio féminin à la sourde rivalité.
Resident Evil : Extinction (2007) de Russell Mulcahy
Raccoon City a été détruite par une explosion nucléaire mais cela n’a pas empêché le virus de se répandre sur l’ensemble de la planète. Réalisateur de Highlander au millénaire dernier, l’Australien Russell Mulcahy, est aux manettes, Anderson conservant son rôle de scénariste-producteur. Claire Redfield, Carlos Oliveira et surtout Albert Wesker rejoignent le casting, comme pour prouver que nous sommes bien dans Resident Evil. « Ici le convoi de Claire Redfield », entend-on répéter en boucle, comme pour s’assurer qu’on ne l’oubliera pas. Car, pour le reste, avec ses camions parcourant le désert en quête de survivants, le monde post-apocalyptique d’Extinction évoquerait plutôt celui de Mad Max. D’un clin d’œil aux Oiseaux d’Alfred Hitchcock (d’innombrables corbeaux infectés se rassemblent sur des fils électriques) à un copier-coller du Jour des morts vivants de George Romero (un zombie en voie de domestication tente de se servir d’un téléphone), les emprunts ne manquent pas mais le film, lui, peine à trouver son ton et prend des allures d’assemblage quasi aléatoires de scènes, personnages et motifs cinématographiques. Notre amie Alice est désormais dotée de pouvoirs surnaturels La surveillance par satellite fait rage. Le sang d’Alice ne pourrait-il pas servir d’antidote ? Le Docteur Isaacs, nouveau chercheur en chef d’Umbrella, se transforme en Tyrant. Alice a été clonée. N’en jetez plus.
Resident Evil : Degeneration (2008) de Makoto Kamiya
Un an plus tard, Capcom reprend la main avec un film d’animation produit en interne. Retour à l’univers strict des jeux. Leon S. Kennedy et Claire Redfield mènent la danse comme au bon vieux temps de Resident Evil 2. Umbrella ne fait plus partie du décor mais WilPharma lui succède dans le rôle de la société pharmaceutique douteuse. L’aéroport de Harvardville est la proie d’une attaque de zombie, un avion s’écrase, les choses sérieuses peuvent commencer. Au menu : poursuites et fusillades, théorie du complot, découverte d’un nouveau virus et mutations à gogo. Techniquement, on est loin de Pixar et la multiplication des enjeux supposés (politiques, familiaux, économiques, amoureux…) laisse un rien perplexe. Pour le meilleur et pour le pire, Degeneration s’affiche en produit dérivé des jeux. C’est un nouveau chapitre – youpi, on va apprendre plein de trucs ! Mais c’est aussi un film dont les scènes sont conçues exactement comme celles d’un jeu, jusque dans l’utilisation du décor pour vaincre un « boss ». Faute de mieux, c’est intrigant. Et on y trouve un chouette baiser subaquatique. Après une sortie en salles limitée (au Japon et aux Etats-Unis), Degeneration a connu un certain succès en DVD, ce qui a incité Capcom à lui donner une suite, Resident Evil : Damnation, attendu cet automne au Japon.
Resident Evil : Afterlife (2010) de Paul W.S. Anderson
Côté cinéma « live », Paul W.S. Anderson ne laisse à personne le soin de mettre en scène le quatrième Resident Evil, le premier en 3D. Chris Redfield y rejoint sa sœur (qui, à son tour, souffre d’amnésie), les parasites de Resident Evil 4 ou 5 infectent les corps (y compris ceux des chiens, dont la tête s’ouvre par le milieu) et Milla Jovovich tient toujours la vedette même que, cette fois, elle pilote super-bien le petit avion qui lui permet de rejoindre un petit groupe de survivant dans ce qui reste de Los Angeles. S’il ne relève pas spectaculairement le niveau, Extinction a le mérite de moins se disperser, donnant davantage de consistance à ses lieux et aux désirs (fuir !) comme aux doutes (cet homme me dit-il la vérité ?) de ses personnages. Jusqu’aux dernières séquences, en tout cas, avec humains enfermés dans des tubes et duel laborieux contre un Wesker mutant. Et l’on n’est pas au bout de nos peines car la suite directe d’Afterlife, Resident Evil : Retribution, avec le retour de Michelle Rodriguez (pas vue depuis le premier film) et l’arrivée de l’actrice chinoise Li Bingbing dans le rôle d’Ada Wong, sort en France ce 26 septembre. Aux dernières nouvelles, Paul W.S. Anderson envisagerait de tourner un sixième film qui mettrait un terme à la série. Qui a dit « Il était temps » ?
(Paru dans IG, hors-série Resident Evil, septembre-octobre 2012)
Le cas BioHazard 4D – Executer
Le tout premier « film » Resident Evil est un objet très particulier. Court métrage de 20 minutes réalisé par Koichi Ohata et destiné aux parcs d’attraction japonais, BioHazard 4D – Executer suit un groupe de militaire venus secourir une scientifique au milieu des zombies. Très gore, ce film d’action en images de synthèse multiplie les mouvements de caméra comme pour « faire cinéma » mais, étrangement, évoque surtout le jeu House of the Dead dans une ou deux scènes d’affrontement en vue subjective. Il s’autorise aussi ce qui est impossible dans les jeux — pas de fin heureuse garantie. Dans certaines salles, les spectateurs ont pu le suivre installés sur des fauteuils spéciaux qui les secouaient au rythme de l’action.