McDull dans les nuages

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Pour dire sans trop s’égarer ce qu’est vraiment McDull dans les nuages, peut-être vaut-il mieux commencer par la fin. Sur une plage, les pieds dans l’eau, vêtu d’une combinaison de bain rayée à l’ancienne, un homme nous tourne le dos, arrêté face à la mer. C’est lui qui nous parle depuis le début du film, lui qui nous raconte son histoire, celle de McDull, enfant de Hong Kong vivant seul avec sa mère et ses rêveries obsessionnelles mais variées. Jusque là, McDull était pour nous un petit cochon tout rond, un personnage de dessin animé venu de Hong Kong (où il est une star de la BD et l’ornement d’innombrables produits dérivés) plastiquement proche du courant esthétique kawaii (« mignon ») japonais. Mais c’est donc un homme, un acteur en chair et en os, filmé en « prises de vue réelles », qui figure pour nous finalement l’adulte McDull. Ce que l’on nous montre ici n’est pas le récit (même fantaisiste) d’une enfance au présent mais une reconstruction a posteriori, sur un registre formel de fiction enfantine, qui se soucie aussi peu de linéarité que de vraisemblance mais s’attache à dégager des fragments de souvenirs, à réveiller des impressions, à retrouver des motifs imaginaires essentiels pour leur (re)donner vie. A la recherche du temps perdu, mine de rien ? Précisément.

Par ses techniques comme par ses modes de représentation et de récit, McDull dans les nuages s’affiche hétérogène. L’animation classique voisine avec l’infographie 3D la plus moderne, qui elle-même n’exclut pas le recours aux prises de vue réelles ou, même, le dessin à peine griffonné pour une séquence simili primitive. De son côté, la construction du film repose sur l’autonomisation de scènes qui, à partir d’une idée, d’un mot ou d’une image, semblent croître sur place, s’élever sur un mode absurde et/ou poétique jusqu’à trouer la surface du film. Ce peut-être une tentative de passer commande dans un restaurant qui n’a plus ni poisson ni nouilles, les recettes de cuisine (à base de poulet et de papier ayant préalablement emballé le poulet) du site internet de la mère de McDull ou une tentative de la maîtresse de faire l’appel en classe (chaque nom est prononcé à maintes reprises)… Pour l’essentiel, le film est constitué de scènes de la vie quotidienne réinterprétées sur le mode du gag (comique ou mélancolique) dans un univers où les couleurs pastel (des personnages, hommes ou animaux humanisés ; de certains lieux : l’école, la cuisine maternelle, une île) contrastent avec l’âpreté photoréaliste des rues. Mais cette utilisation de séquences-vignettes ne se fait pas au détriment de l’unité du film. Un peu comme dans Mes voisins les Yamada d’Isao Takahata, par un système à la subtilité discrète de rimes (l’obsession pour les Maldives, pour les brioches), de vagues narratives (retours à l’école, à la maison, dans une île voisine), de boucles burlesques ou mélancoliques, les auteurs de McDull dans les nuages donnent au film une épatante structure à la fois musicale et picturale. Peu à peu, la toile se remplit, et l’addition de ce que l’on pouvait prendre pour une série de barbouillages localisés, donne naissance à un tableau précis et émouvant.

Tout au long de l’inventaire habité qu’est aussi McDull dans les nuages, rien ne frappe plus que la persévérance dans le dérisoire, si ce n’est la littéralité et la frontalité de la représentation vouée aux raccourcis inspirés. Le petit McDull considère que sa mère (célibataire) est une héroïne ? Elle devient donc un personnage de jeu vidéo, courant et sautant de gauche à droite sur l’écran pour aller affronter le « boss » de fin de niveau. Tout au long du film, les visages reviennent ; le directeur de l’école partage le sien avec le présentateur télé et avec un entraîneur sportif fier de ses mollets. La logique de la mise en scène, proche du cinéma-karaoké, est celle de la récupération subjective d’un détail, d’une sensation, d’un élan, pour les dupliquer, les projeter, et finalement s’en servir pour repeindre un monde de souvenirs.

La tristesse et l’émerveillement vont ici de pair. L’imaginaire est posé comme tel, mais la relativisation du rêve et du fantasme n’implique jamais leur rejet ou leur négation, les rendant au contraire d’autant plus précieux qu’ils sont fragiles. En anglais, « dull » signifie terne, insignifiant. Cela rejoint la morale largement dépressive du film : McDull n’est pas devenu quelqu’un d’exceptionnel socialement (un génie, un champion, etc.). Ce n’est pas le moindre des mérites de la ciné-reconstruction fictive de sa vie imaginaire que de faire admettre avec style que l’essentiel pourrait bien être ailleurs.

(Paru dans Les Cahiers du cinéma n°580, juin 2003)

McDull dans les nuages (Hong Kong, 2002) de Toe Yuen

Erwan Higuinen

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